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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sort m’est contraire… Il m’a appris que la haine pouvait naître moins du mépris que de l’indifférence d’autrui, et la fureur de sa propre bénignité. Il m’a appris que le goût du meurtre résulte et qu’un agneau paisible, innocent, peut devenir un tigre sans pitié… Tiercelet a péché pour me sauver la vie… S’il n’avait pas occis cet homme d’armes dans la forêt de Cravant, j’eusse dû m’employer à le faire : de toutes mes forces, quand son épée m’atteignit à l’épaule, je l’ai voulu voir roide et sanglant à mes pieds !… Que voulez-vous, Seigneur, que je vous dise encore ? J’ai souvent perdu ma foi en Vous dans ma geôle. On m’y avait privé de mouvements et de clarté, de chaleur cet hiver, et Vous vous montriez indifférent à mes prières innombrables ! J’ai vécu dans la médiocrité d’une bête en cage et la laideur de la solitude…
    Brusquement, Tristan s’agenouilla :
    – Est-ce Vous, roi du Paradis, qui avez placé cette lumière dans mes ténèbres ?… Est-ce Vous qui m’avez délivré par sa main ?… Est-ce Vous qui nous avez conduits à Vézelay, transformant ainsi la bassesse de notre fuite en je ne sais quelle ascension ?… Que dois-je faire ? Attendre Tiercelet ou me sauver maintenant, dans la plus mauvaise acception de ce verbe, en courant je ne sais où ? Un signe, Seigneur ! J’ai besoin d’un signe !
    Tristan se leva, considéra le Christ de bois peint dans les yeux, puis glissa de son regard immobile à ses lèvres entre-closes. Aucun signe, évidemment. La cécité glaçait les prunelles bleu clair, et la bouche rouge, plutôt que d’exprimer l’indulgence, semblait exhaler un soupir d’ennui.
    Il revenait sur ses pas quand une agitation l’immobilisa. Des lueurs incendiaient les vitraux tandis qu’un grésillement de sabots ferrés envahissait le silence. Gens de paix ou guerriers ? Ils devaient être une dizaine.
    Flairant aussitôt le danger, il courut jusqu’à l’autel derrière lequel il s’accroupit.
    « Et Tiercelet ? » songea-t-il, désolé.
    – Tiens ! triompha une voix. Que vous avais-je annoncé ? Voilà le cheval de Grimouton… Je le reconnaîtrais entre cent à cause de cette tache de ladre au-dessus de son nez.
    – Qu’est-ce qu’on fait, Aubery ?
    – On fouille tout : basilique, église, maisons…
    – Il est tard… On ferait mieux de s’enquérir du gîte et du couvert !
    – On fouille tout, compagnons !… J’ai dit ! Je vengerai Grimouton avant l’aube… Toi, Lionel, tu chercheras ces cagous de ce côté avec Herbaut, Colebret et Flourens… Toi, Garsiot, tu iras avec Fortifiet et Chiquart visiter les auberges et les échoppes : elles sont peu nombreuses, mais il y en a !… Géronnet et Plicart viendront avec moi…
    – Si j’ai bien compris…, commença une voix toute jeune.
    – Tu as fort bien compris, Mansion : tu veilleras sur les chevaux jusqu’à notre retour… Entrons là !
    Tristan, le souffle court, entendit des gonds grincer lentement et se reprocha son manque de prudence et de célérité. Dès l’éveil de sa méfiance, il aurait dû courir jusqu’au seuil de la basilique afin d’en verrouiller la petite porte de l’intérieur : ces hommes eussent pensé que le sanctuaire avait été clos pour la nuit.
    Ils entrèrent et toussèrent, moins parce qu’ils étaient incommodés par les encens et les fumées que par plaisir de mettre le silence en miettes. Risquant un œil, Tristan les observa. Ils étaient trois, coiffés d’une barbute, le corps enveloppé d’un haubergeon dont les pans grésillaient contre leurs genouillères. Ils semblaient étourdis de fatigue et d’humeur. L’air hagard et suspicieux, ils avançaient sans hâte, de cette démarche lourde, un peu boiteuse, des chasseurs aussi recrus que le gibier qu’ils forcent. Tous étaient assez trapus, de sorte que leurs épées paraissaient des armes d’emprunt. Sous les ondées de lumière, leurs mailles semblaient d’or. Une belle mais fallacieuse apparence : c’étaient des hommes durs, au service d’une justice prompte. Leur mépris de la bienséance élémentaire apparaissait dans le seul fait qu’ils ne s’étaient pas découverts, qu’aucun d’eux ne s’était signé, et qu’ils avançaient entre les piliers comme s’ils se fussent trouvés en pleine rue.
    – Tu vois bien qu’il n’y a rien !
    – Il a raison, Aubery. Nous perdons notre

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