Les amants de Brignais
temps.
Tristan retint son souffle ; son angoisse s’accrut. Un cri retentit, mi-rieur mi-indigné :
– T’aurais pu faire ça dehors !
– Je tenais plus, Plicart !… Tout un jour en selle !
– Bah !… Ça ne fera pas pousser plus haut cette colonne de pierre !
Les voix perdirent leur intensité : les hommes s’éloignaient tout en vociférant. L’huis grinça. Tristan se demanda s’il était vraiment seul.
Remarquant une chapelle, à sa droite, il traversa le chœur. Il s’enfonça dans la petite abside et fut heureux de se sentir emmitouflé d’ombre légère. Au fond de ce refuge qu’une seule chandelle éclairait, une statue luisait faiblement. Elle représentait, grandeur nature, saint Michel auripenne terrassant la bête immonde.
Vêtu d’une armure, le bassinet déclos afin qu’on vît son visage de damoiseau, l’archange aux ailes d’or éployées levait sa main senestre en signe de victoire, cependant que de sa dextre appesantie sur le pommeau de son épée, il maintenait cloué le dragon à la tête.
– Hé ! Mais… On l’a pourvu d’un estoc véritable.
Répugnant à armer le céleste champion d’une lame de bois peint ou de quelque fer martelé sur une enclume rustique, l’imagier avait pris soin de le fournir en bon acier.
« C’est là, sûrement, le signe que j’attendais. »
L’arme que Tristan examinait 36 se distinguait de toutes celles qu’il avait vues jusqu’alors par de forts quillons droits, épanouis en fleur de lis à leur extrémité, un pommeau très allongé s’élar gissant en queue de paon, une fusée habillée de fil d’acier – selon ce qu’il en pouvait voir. Quant à la lame, à double talus sur chaque face, avec une mince cannelure centrale qui s’arrêtait en son milieu, c’était ce qu’un guerrier pouvait souhaiter de mieux.
Tristan n’hésita point : il se saisit de l’arme. Il en baisa la garde et s’inclina devant l’archange.
– Je m’avilis, c’est vrai… Nécessité fait loi…
Sous le noir bourrelet des sourcils, les grands yeux, éclairés au blanc de céruse, semblaient exprimer la surprise et la fureur.
– Absolvez-moi, messire saint Michel !
D’un pas lent, chancelant, Tristan gagna le seuil de la basilique. L’oreille contre la porte, il écouta.
Les trois mécréants s’interrogeaient à voix haute, ignorant, semblait-il, ce qu’ils devaient faire dans l’immédiat, et souhaitant que leurs compagnons eussent meilleure chance qu’eux dans le commencement de leurs recherches.
– De toute façon, disait Plicart, cette demeure est un lieu d’asile. Il nous aurait fallu les y laisser si nous les avions trouvés… Pas vrai, Géronnet ?
– La basilique étant vide de tout saint homme, on aurait fait ce qu’on voulait !… L’église est peut-être pleine de tonsurés, et c’est un lieu d’asile aussi… Ils s’opposeront à notre visite.
– Avec cet acier-là, nul ne s’opposera à ma volonté d’appréhender cette racaille ! Il ferait beau voir qu’un gêneur quel qu’il soit, presbytérien ou non, se mette en travers de mon chemin !
Cet Aubery semblait aimer la vertu avec intolérance et s’indigner férocement qu’on pût pécher. Il avait, cependant, laissé Géronnet compisser un pilier de la basilique et s’était dispensé du moindre signe de croix.
– Allons, compères !… Le gibier est à Vézelay. Nous l’allons débucher. Plicart, si ta vessie est pleine, fais comme moi.
– J’ai encore envie, dit Géronnet.
Tristan prit son mal en patience. Que faisait Tiercelet ? Avait-il vendu la jument ? Vidait-il un gobelet de cervoise dans une taverne avant que de se mettre en quête du gîte et du couvert ? Attendre…
Quand les pas s’éloignèrent, Tristan se demanda s’il devait sortir ou rester aux aguets. Il serrait si fort la prise de son arme qu’une crampe figea douloureusement ses doigts. Il allait, pour y remédier, poser l’épée sur le sol quand le silence fut troublé par des cris, des rires et des glissements de semelles ou de talons sur le gravier de la place.
– Ils en ont un, Mansion ! s’écria Aubery. Le plus vieux. Le robeur du marché de Cravant !
Ils tenaient Tiercelet. Comment avaient-ils pu déjouer sa vigilance ?
– Une corde, Mansion… Hâte-toi ! Et vous, manants, rentrez dans vos demeures… Allez, obéissez !
Allaient-ils pendre Tiercelet ? Les arbres ne manquaient pas.
L’indécision de Tristan
Weitere Kostenlose Bücher