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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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recouvra vie et parole :
    – S’ils mangent, ils ne pourront communier !
    – Nous n’avons pas d’hosties, dit le Petit-Meschin. Tu les marieras au mieux, Angilbert, quand Bagerant et moi en auront décidé…
    Il avait une face plate, aux pommettes si fortes qu’on eût dit deux gros abcès en voie de mûrissement. Une barbiche teignait son menton d’un peu de blond. Ses cheveux touffus, épais, lui donnaient un air de ribaude – n’eût été cette barbe qu’il tortillait avec un air de satisfaction, comme s’il venait d’émettre une idée digne de figurer dans un livre.
    – Mais, protesta le moine, il me semble que le plus tôt serait le mieux !
    La consternation alourdissait ses traits déjà épais. Tristan voyait mieux, aux flammes d’un chandelier posé par Héliot, les chairs flétries de son visage, les pattes-d’oie qui lui griffaient les yeux, le grain épais de la peau de son nez piqué aux vers, le menton mou, soutenu par un bourrelet de graisse. Ce qu’il avait pris pour les stigmates de l’âge, de la lassitude ou du repentir d’être le sacerdos de tous ces malandrins, témoignait d’une existence effrénée, toute entière consacrée aux plaisirs. Peut-être, même à ceux des sens.
    Héliot versa du vin dans les hanaps d’argent véhément que fût, pour Oriabel, le désir d’étancher sa soif, un coup d’œil lui signifia d’attendre que Bagerant eût vidé sa coupe, ce qu’il fit len tement, comme s’il délectait moins de la saveur de cette boisson rosée, que de l’attente des assoiffés.
    – Non, dit-il en s’essuyant la bouche d’un revers de main, il n’est pas enherbé, ce bon vin ! Les moines qui avaient fait de Brignais leur cellier possédaient de fins palais, bien qu’ils eussent vécu comme en chaumière. Ils avaient entassé dix barriques en bas, au frais. Nous, on a converti leurs caves en prison pour ceux ou celles qui se regimbent… Porte-moi la santé, Tristan.
    À contrecœur, le jeune homme leva son hanap, imité par Oriabel et Tiercelet, maussade.
    –  Sachez bien que truand je suis, mais lorsqu’il est question d’honneur, je me conduis bien mieux qu’un chevalier de l’Etoile… Je vous adjure d’être quiets. Si quelque malheur devait vous advenir, je n’en serais point cause… car en vérité, je vous le dis : je veillera sur vous comme un père !
    Un hurlement issu de l’extérieur perça l’épaisse risée que ces propos suscitaient. Tristan sentit la cuisse d’Oriabel, collée à la sienne, se reculer puis revenir. Il fallait accepter ce cri de douleur et d’effroi, accepter le présent tel qu’il apparaissait : noir et sans issue. Nul n’avait bronché autour de la table. Le chant d’un coq eût fait à ces gens plus d’effet.
    –  Amen, dit Angilbert.
    Savait-il ce qui venait de se passer ? La malheureuse semblait jeune…
    Haletant comme après une course terrible, le moine loua les mérites de Bagerant, qui n’en demandait pas tant, avant de regretter de ne disposer que du nécessaire pour un mariage qu’il eût aimé célébrer en grand bobant tant les promis lui plaisaient. Comme Oriabel restait pâle et froidie d’horreur, Espiote, imperturbable, interrogea Bertuchin :
    –  Crois-tu qu’elle soit…
    Bertuchin hocha évasivement la tête.
    – Fallait lui foutre une mordache ! s’écria le Petit-Meschin. Il y en avait deux dans le coffre aux ciboires… Même que je me suis demandé ce qu’elles y faisaient !
    – Qu’est-ce donc ? chuchota Oriabel.
    Fronçant les sourcils, Tristan lui enjoignit le silence. Il lui dirait, plus tard, qu’une mordache était un bâillon de bois que, dans certains couvents, l’on mettait aux moines ayant enfreint la règle du silence. Une espèce de mors pour homme, ni plus ni moins.
    – Mon maître fut quelque temps Nicolas Oresme (1) 94 dit le moine Angilbert.
    « Il ment certainement, songea Tristan. Il n’a pas pu connaître ce saint homme ! »
    –… mais c’est à Bruges, mes enfants, que j’ai surtout exercé mon ministère… Enfin, tout près de Bruges : en l’abbaye de Dœst, proche de Lisseweghe. Mon exemple en tant qu’homme et en tant que frère en Dieu est un moine qui vécut là peu de temps avant mon arrivée… Guillaume de Saftinghe…
    – Ne recommence pas ton histoire ! tonna, de loin, Jean Hazenorgue en se levant, ou tout moine que tu es, je vais te donner la fessée !
    – Laisse-le, dit Bagerant.
    Il semblait

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