Les Amants De Venise
lui, d’une fougueuse
passion qui devait aller jusqu’au crime !…
Et ce fut vers ce palais que Roland se dirigea alors…
Comme il longeait une rue obscure, il fut rejoint par deux ou
trois jeunes seigneurs qui, accompagnés de leurs laquais, porteurs
de torches, faisaient grand bruit et riaient très fort.
Roland s’approcha du groupe, salua poliment et dit :
« Messieurs, veuillez excuser la curiosité d’un étranger
qui voyage pour son agrément. Est-il vrai qu’une dame, fameuse pour
sa beauté et nommée Imperia, soit de retour dans Rome ?
– Imperia la magnifique ! Imperia la glorieuse !
Imperia la divine ! s’écria le plus jeune des seigneurs qui
paraissait ivre. Mais, monsieur, on ne parle que de cela dans
Rome ! D’où sortez-vous ?
– Ainsi, Imperia est bien à Rome ?
– À telles enseignes que nous allons de ce pas à sa
première fête.
– La cruelle rentra il y a quatre jours.
– Après nous avoir sevrés d’amour pendant de longues
années. »
Ces exclamations se croisèrent.
« Merci, messieurs », dit Roland en saluant.
Le groupe s’éloigna. Mais le plus jeune, au milieu des éclats de
rire, se retourna tout à coup et lança cette question :
« Or çà, seigneur étranger, seriez-vous amoureux de la
divine Imperia, vous aussi ?…
– Peut-être ! » dit Roland de sa voix calme et
glaciale qui figea tous les rires sur les lèvres des jeunes
fous.
Tout le groupe se hâta et disparut silencieusement, tandis que
Roland, à pas lents, continuait à marcher dans l’ombre.
Près du pont des Quatre Têtes, une vive lueur éclairait soudain
la rue. Et dans le cercle de lumière, des carrosses, des chaises,
des laquais, des mendiants, toute cette foule qui apparaît aux
abords de toutes les fêtes, domestiques, chevaux et misérables,
apparut aux yeux de Roland dans une rumeur confuse.
Il vit la façade du palais qui ruisselait de lumières. Et ce
palais, en effet, c’était celui d’Imperia qui, arrivée à Rome, en
distançant Bembo de quatre journées, faisait ainsi dans la vie de
Rome, dans l’orgie, la débauche et la splendeur d’une fête
fastueuse, ce qu’on appelle aujourd’hui une rentrée
sensationnelle.
Roland se glissa à travers les groupes.
Dix minutes plus tard il était dans l’intérieur du palais.
Qu’y fit-il ? Une heure plus tard, il sortait du palais
sans avoir été autrement remarqué dans la cohue grandissante, et,
en toute hâte, reprenait le chemin de l’auberge où il avait laissé
Scalabrino.
À ce moment, il était un peu plus de onze heures et demie.
Roland trouva Scalabrino dans la rue, devant l’auberge fermée
depuis longtemps.
« Le carrosse ? » demanda-t-il.
Scalabrino, du doigt, lui désigna une masse sombre arrêtée à
quelques pas. Roland s’en approcha, examina les chevaux, s’assura
que les mantelets du carrosse étaient solides.
« Tu conduiras, dit Roland.
– Oui. Quelle route ?
– Celle que nous avons suivie. Maintenant,
viens. »
Scalabrino saisit l’un des chevaux par la bride, et le carrosse
s’ébranla. Les deux hommes marchèrent à pied.
Roland se dirigea vers le pont des Quatre-Têtes.
Ils ne se disaient rien.
À vingt pas du palais Imperia, Roland tourna à gauche dans une
ruelle, puis encore à gauche. Enfin, il s’arrêta.
Il était sur les derrières du palais. La rue était obscure.
Dans l’intérieur du palais, on entendait les bruits confus de la
fête. Roland s’était arrêté devant une porte basse.
Dans le renfoncement de cette porte, un homme attendait.
« Tu es toujours décidé ?
– Pour la même somme, oui, monseigneur, dit l’homme.
– Mille ducats que tu voudras toucher.
– À Venise, oui, monseigneur.
– C’est bien. Tu vas nous conduire, puis tu reviendras ici
surveiller le carrosse et tenir les chevaux.
– Venez », dit l’homme.
C’était l’un des valets du palais d’Imperia.
Il se mit à monter un escalier très raide, suivi de Roland et de
Scalabrino. Puis il longea des couloirs, redescendit un escalier
étroit et pénétra enfin dans une petite pièce éclairée par un
flambeau. Il y avait trois portes à cette pièce.
« Ici, dit le valet, c’est la chambre de la signora ;
ici, c’est un salon. »
Il désignait successivement la porte de gauche et celle de
droite. Quant à la troisième, c’était celle par où ils venaient
d’entrer.
« Vous ne vous tromperez pas pour le retour ?
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