Les Amazones de la République
Câest ainsi que cette photographe lui fit notamment rencontrer, alors quâil était encore ministre des Finances, un célèbre militant des droits civiques et membre des Black Panther Party, recherché par la justice américaine, Eldridge Cleaver. Imaginez en son temps Ben Laden déjeunant à la Maison Blanche et vous aurez une idée de lâeffet que fit à Washington cette rencontre à lâépoque : les officiels américains sâétranglèrent. Nâécoutant que celle qui peuplait ses songes, VGE accepta dâintervenir auprès de Chirac, alors ministre de lâIntérieur, afin dâempêcher lâarrestation de Cleaver par la DST et son extradition. Ayant obtenu des permis de séjour pour lui et sa famille grâce à ces hautes protections, celui que lâAmérique avait inscrit sur ses listes noires sâétablit quelque temps à Paris et se reconvertit dans la mode⦠Un mot de plus de la photographe et il eût la rosette et sa place au Panthéon.
Contrairement à lâensemble de ce qui lui a succédé à lâÃlysée et pour qui la vie politique était un mélange fait dâambition chevillée à lââme et de plaisirs charnels chevillés au corps, Valéry Giscard dâEstaing ne pensait, lui, quâà une seule chose, du lever au coucher : son destin. Et, complément aggravant, à son « Åuvre », à la trace orgueilleuse que celle-ci laisserait dans les sédiments de lâhistoire. Lâénorme front bombé que barrait une mèche indocile semblait ainsi abriter des rêves dâabsolue grandeur. Soucieux dâune gloire posthume, lâhomme paraissait à ce point bétonné dans le ciment de sa supériorité, focalisé sur sa carrière politique, que tout ce qui lâentourait nâavait pas vraiment lâair de le concerner.
à lâinverse dâun François Mitterrand, dâun Jacques Chirac, ou dâun Nicolas Sarkozy. Ces dirigeants, ancrés dans la vie, vécurent, sur le plan de leur stricte sexualité, en surcharge pondérale. Quand VGE semblait jeter un regard plus distrait sur les femmes qui hantèrent son intimité. Et quâil picora, en abondance, comme on plonge les doigts dans une assiette de pistaches : avec détachement.
Valéry Giscard dâEstaing aima à sâentourer dâun petit cercle de journalistes presque exclusivement masculins. En première ligne, quelques thuriféraires dûment catalogués : Jean-Pierre Elkabbach, Jean-Marie Cavada, Philippe Labro, Olivier Mazerolle, Jacques Chaput, ou encore Patrick Poivre dâArvor. Mais il y eut surtout les frères Alain et Patrice Duhamel. Ce dernier fut bien plus quâun simple interlocuteur, lâun de ceux qui figurèrent dans son premier cercle : un ami, un confident, mais également le témoin muet de son ascension, comme de sa chute ou de sa disgrâce.
Mais même pour ce dernier, comme pour les journalistes qui le fréquentèrent assidûment, VGE resta un mystère. Aucun de ceux qui le côtoyèrent au plus près et que lâauteur a interrogés, nâa mis un frein à ses souvenirs. Pourtant ils nâen dirent guère plus. Lâhomme était secret, jusquâà lâobsession.
Si bien que même le célèbre et banal incident du camion laitier, qui défraya la chronique, en 1974, relaté à lâépoque par la très austère Lettre de lâExpansion , demeure quarante plus tard une séquence non entièrement élucidée.
Prenant le relais de cette feuille économique, la presse satirique rapporta quâun matin, police, pompiers et Samu furent dépêchés sur les lieux dâun accident.
Une fois sur place, les secours découvrirent Valéry Giscard dâEstaing, à lâévidence éméché et en galante compagnie. Le chef de lâÃtat, qui avait emprunté une Ferrari à son ami Roger Vadim, le célèbre réalisateur, venait tout simplement de percuter la camionnette dâun laitier qui débutait sa tournée. Lequel laitier, furieux, serait allé jusquâà gifler le locataire de lâÃlysée.
Adossé au capot du bolide, VGE observait le va-et-vient des policiers, grommelant ses consignes. Un moustique gendarme appela son cabinet. Un autre
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