Les Amazones de la République
châteaux de cartes, les forteresses les plus inaccessibles. Et leurs occupants, devenus mendiants, suppliaient quâelle les passe à la question. Comme des toutous rapportant le lapereau, ministres et députés jappaient à ses pieds, se multipliant en potins et confidences, comme jaillis dâun geyserâ¦
Nâest-ce pas Lacan qui disait que « le discours dépend de la personne à laquelle on sâadresse ? » Telles deux perles enchâssées dans un écrin, Michèle Cotta et Catherine Nay affolèrent ainsi les haras de la République, dont elles sillonnèrent les coulisses, greniers et boudoirs. Aguerries et particulièrement brillantes, elles allaient chaque jour à la pêche, jetant leurs lignes sur les berges de quelque cantine huppée de Paris, où elles taquinaient le squale : à la Gauloise ou Chez Edgard, ces brasseries où diacres et cardinaux de la politique échangeaient avec des mines de conspirateurs. Devant ces établissements parfois transformés en « QG » de campagne, des flottilles de taxis G7, aux compteurs qui tournaient comme des ventilateurs, les attendaient inlassablement. Câest ainsi quâun jour, Michèle Cotta revint de lâun de ces déjeuners avec dans sa besace lâengagement de François Mitterrand à lâélection présidentielle de 1974 : lâun des secrets les mieux gardés de la mitterrandie jusquâalors !
Lâécole Giroud. Ainsi, nombre de ces journalistes de LâExpress tombèrent sous le charme de cette matrone qui veillait dâun Åil précis sur son Jean-Jacques et dâun autre, plus caporaliste, sur son contingent de voltigeuses, auquel elle inoculait ses recettes. Françoise Giroud, qui était dâune flagornerie sans bornes avec François Mitterrand mais pas seulement, avait ainsi une manière bien à elle dâapprivoiser les politiques, auxquels elle réservait des numéros de charme particulièrement bien rodés : un sourire espiègle, une élégance sur mesure, un petit nez retroussé, complété dâun sourire éclatant, laissant jaillir une dentition immaculée : dame Giroud était un concentré de féminité travaillée.
Câest ainsi quâelle déployait tous ses talents, dès lors quâelle avait à sa table quelques éminences. Même le croque-mort de la place Beauvau, le très sinistre ministre de lâIntérieur de Georges Pompidou, Raymond Marcellin, eut droit à quelques minauderies. Combien lâont ainsi quittée, troublés, après quâelle eut remonté ses jambes dans le canapé où elle sâétait blottie, ronronnant ses arguments tel un chat savant, griffes rentrées dans les manchons dâun pull trop long, après avoir entamé, en inclinant coquettement la tête, une conversation des plus mondaines⦠Féline. Celle chez qui la séduction procédait dâun travail au poinçon somma un jour lâune de ses voltigeuses, Catherine Nay, toujours, de mettre une jupe très courte, alors que celle-ci sâapprêtait à se rendre à lâÃlysée pour y interviewer Valéry Giscard dâEstaing.
Bien des années plus tard, celle qui fut élevée à cette même école, Michèle Cotta, alors quâelle dirigeait lâinformation de TF1, convoqua un jour la journaliste chargée de « couvrir » lâincendie provoqué dans un cinéma parisien par un groupe de catholiques intégristes. Assise à son bureau, Michèle Cotta examina de pied en cap sa jeune consÅur. Et sâarrêtant sur ses mains, lui lança, tout à trac : « Dis-moi, Isabelle, jâai lâimpression quâil y a longtemps que tu nâas pas vu ta manucure ? », tout en regardant les siens, dâune netteté impeccable. « Il faut que tu y penses, ma jolie ! » De lâimportance de la carrosserie dans le journalismeâ¦
Près dâun demi-siècle plus tard, Catherine Nay, qui partage sa vie avec lâancien ministre de lâÃquipement de Valéry Giscard dâEstaing, Albin Chalandon â une passion vieille de trente ans â, jette un regard dâentomologiste sur une sphère politique dont lâADN nâa subi aucune transformation : « La
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