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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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fauteuil. De l’autre côté de la cheminée, Marie continue son somme.
    Elle a partagé et éclairé de sa présence fidèle les sombres années de ma demi-captivité à Pray. Je sais que cette expression aurait fait bondir mon mari mais tel était pourtant ce que je ressentais. En principe, j’étais libre d’aller et de venir à ma guise. Ce n’était qu’apparence. Mise à part Guillemine que j’avais obtenu de conserver à mon service comme chambrière, je savais que les autres serviteurs du domaine m’épiaient sans cesse afin de rapporter à leur maître mes moindres faits et gestes. De son côté, Marguerite, ma belle-sœur bossue, m’entourait d’un réseau fort serré de surveillance. Sous des paroles mielleuses, sa vigilance n’était presque jamais en défaut.
    J’ai vécu là des années de plomb… Années de repliement et de mortification, mais, sans doute aussi, années salutaires. Qu’avais-je été jusque-là ? Une jeune fille sentimentale, puis une épouse déçue mais coquette, une amante adulée, courtisée par un homme d’exception qui la tenait pour sa muse et auquel, à ce titre, elle n’accordait que peu de chose, enfin, durant une saison, une femme heureuse mais qui savait son bonheur condamné à la brièveté… Rien de tout cela n’avait suffi à me mûrir. Telle la feuille sur la rivière, je me laissais porter par le courant, au fil des événements… Il était nécessaire à mon accomplissement que je fusse amenée à faire un retour sur moi-même. Si pénible qu’il pût être.
    Ma retraite forcée m’y contraignit. J’appris à discipliner ma rêverie, à tirer la leçon de mes malheurs, à apprécier les menues joies de la vie quotidienne, à distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. En un mot, autour de la trentaine, je parvins à une plus juste appréciation des êtres et des choses. Je connus mes choix intimes et décidai de m’y tenir. Ma fille, Diane, Marie… et, dans le secret de mon cœur, l’amour désormais silencieux que je vouais à Pierre en dépit de tout, voilà quels seraient à l’avenir les pôles de mon existence, mes uniques joies, mes seuls recours.
    Comme toujours, il s’agissait de dépasser les épreuves, de les surmonter afin d’en extraire la force permettant d’aller jusqu’au bout de soi-même… et même un peu au-delà, si possible…
    Ce qui me parut le plus pénible cependant fut l’obligation où je me trouvais de donner le change à tout le monde, de dissimuler mes tourments, de jouer la comédie à chaque instant de ma vie. Ni à ma fille, que j’aimais trop pour l’assombrir par des plaintes, ni à ma mère qui m’aurait fait taire, ni à Marie elle-même, je ne pouvais parler de l’écheveau de sentiments contraires qui meurtrissaient mon âme… Mon mari, pour sa part, avait exigé que nous offrions à la province entière l’image d’un couple réconcilié en dépit des vantardises d’un poète en mal d’inspiration. Un moment déchaînées, les médisances en vinrent à tarir, faute d’aliments.
    Jean attachait trop d’importance au respect humain et à l’opinion d’autrui pour ne pas donner l’exemple. Son apparente magnanimité à l’égard de l’épouse coupable que j’étais n’avait, je le compris plus tard, pas d’autre cause. S’il ne m’a pas contrainte après ma faute à m’enfermer dans un couvent, c’est pour ne pas perdre lui-même la face. Dans la mesure où il se forçait au silence, on pouvait penser qu’il avait de bonnes raisons de ne pas croire à mon infidélité et que Ronsard s’était à tort flatté de m’avoir séduite. Un homme de son importance donne le ton à son entourage. Il usa de ce privilège et entendit que j’en fisse autant.
    Une telle quantité de gens mariés vivent de nos jours dans l’indifférence mutuelle la plus complète que notre détachement à l’égard l’un de l’autre n’étonna personne. Les frasques de Jean furent jugées avec indulgence par les gentilshommes des environs dont le plus grand nombre en faisait autant, et avec fatalisme par leurs femmes. Au fond, nul ne songea à s’en offusquer. Que ne peut-on se permettre quand on fait partie du sexe fort !
    Nous continuions à mener la vie mondaine que mon mari estimait indispensable à ses fonctions. C’était suffisant. Personne ne s’inquiétait de savoir ce qui se cachait sous mes sourires de commande. Parée comme il convenait à mon rang, je traversais ces

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