Les amours blessées
de Jean.
— Mordieu, Madame ! Vous voici encore en train de soutenir votre pécore contre moi ! s’écria mon mari, dont le regard devint dangereusement fixe. C’est toujours la même chose avec vous ! Vous ne cessez de donner raison à cette petite sotte sans vous soucier le moins du monde de ménager mon autorité !
Ne sachant que trop combien les choses risquaient de mal tourner, je baissai le nez après avoir lancé un coup d’œil apaisant en direction de Cassandrette que je voulais rassurer.
Jean surprit mon manège qui l’enragea.
— Je constate une nouvelle fois la connivence inadmissible qui règne entre vous deux ! gronda-t-il en frappant du poing sur la table comme un furieux. Si je me laisse faire, je ne serai bientôt plus maître chez moi ! Ne croyez pas que je le supporterai plus longtemps ! Rien ne va à mon gré dans notre maison depuis que vous nous avez ramené cette morveuse… cette bâtarde !
Dans son désir de me briser, il venait de prononcer une accusation jamais encore proférée.
— Vous n’avez pas le droit d’insulter mon enfant ! m’écriai-je à mon tour en oubliant mon souci de prudence. En l’injuriant, c’est moi que vous injuriez !
Il ricana.
— Que m’importe ! Telle mère, telle fille ! Vous êtes aussi méprisables l’une que l’autre ! Aussi flétries ! L’une par sa conduite, l’autre par sa naissance !
Je suffoquais de douleur et d’humiliation.
La gorge serrée, le sang au visage, je me levai, pris ma fille par la main et quittai la salle.
Pour la première fois, Jean venait de se montrer sans masque. Il m’avait traitée comme une femme perdue ! Et cela devant sa sœur qui devait s’en réjouir, ce qui m’était indifférent, mais hélas aussi devant Cassandrette ! À cinq ans, pouvait-elle comprendre la portée des calomnies lancées contre moi ? Ses larmes témoignaient-elles peur ou honte ?
Épouvantée, malade de chagrin, je décidai de prendre durant une huitaine de jours mes repas dans ma chambre en compagnie de ma fille.
Il me fallut bien reparaître ensuite à table, lors d’un souper prié où je ne pouvais éviter, devant les convives de marque que nous recevions, de tenir mon rôle de maîtresse de maison.
Un pas de plus avait cependant été accompli vers la séparation qui nous attendait, Jean et moi. Notre couple ne survivait plus qu’en apparence.
Il était loin le temps des promesses ! Chacun dans notre coin, nous ressassions nos rancunes. Si mon mari me reprochait à l’égal d’un crime, lui qui m’avait si souvent trompée, ma courte liaison avec Pierre ; s’il ne me pardonnait pas non plus la façon dont je l’avais écarté de mon lit ni le mystère d’une naissance pour lui incertaine, je lui en voulais chaque jour davantage. Plus je songeais au triste mariage dont j’étais la victime, plus je me persuadais des torts de Jean. Qui se trouvait à la racine de notre mésentente ? Par son manque d’amour, ses façons de soudard, ses infidélités incessantes, qui m’avait, le premier, détournée de lui ? Il n’avait qu’à s’en prendre à lui-même, à lui seul ! Je ne l’aurais jamais trahi s’il avait su se montrer tendre et attentif, s’il avait consenti à se soucier de moi qui ne demandais qu’à m’attacher à l’époux choisi par mes parents. J’étais si jeune quand il m’avait épousée ! Malléable comme la cire, je n’attendais que la main ferme et douce qui saurait me façonner… Jean a été l’artisan de nos malheurs, de nos déboires, de ma faiblesse à l’égard d’un amant qui avait réussi, lui, à m’émouvoir !
Je me suis si longtemps débattue contre la tentation ! En dépit des déceptions conjugales dont je n’ai pas cessé d’être abreuvée, n’ai-je pas fait attendre Pierre durant sept longues années avant de lui céder ? Je pourrais même soutenir que par ma discrétion j’ai davantage contribué que mon mari à sauvegarder l’honneur du nom que nous portions tous deux.
Non, non, personne ne me fera repentir des pauvres mois de bonheur que j’ai soustraits au destin, personne ne me convaincra d’une véritable culpabilité envers l’individu dénué de qualité auquel je m’étais trouvée liée à seize ans !
Je croise les bras sur ma poitrine. Mon cœur bat comme si j’avais à me justifier devant un tribunal imaginaire ! Je reste si vulnérable quand j’aborde ce sujet-là !
Je ne puis évoquer sans un
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