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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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réceptions qui étaient pour moi de subtils supplices au milieu des amabilités perfides de tout ce que la province comptait de plus brillant. Je rentrais ensuite à Pray où je quittais mes atours de parade pour me voir de nouveau enfermée dans la citadelle-prison…
    Durant ce temps, et sans se laisser détourner de son but par mes amertumes, Jean conduisait la progression de son avancement dans les offices et les places qu’il convoitait. Il se poussait. Quoi qu’il pût advenir, je l’ai toujours vu poursuivre imperturbablement sa marche en avant. Il a fini par décrocher la timbale le jour où il est devenu maître d’hôtel de la jeune duchesse de Lorraine, Claude de France, la propre fille de notre Roi ! Cette quête d’une situation aussi enviée nécessitait des déplacements continuels et il s’en allait souvent. Chacun de ses départs m’était délivrance.
    Je me souviens des états successifs de gaieté et d’abattement dans lesquels je me trouvais plongée à Pray. Ils correspondaient toujours à la présence ou à l’absence de Jean.
    Quand je le voyais préparer ses coffres de voyage, je respirais, je revivais !
    Pendant ce même temps, Pierre publiait la suite de l’œuvre si fertile, si riche, si multiple, qui devait être la sienne. À travers ses différents recueils, je parvenais à suivre à la trace la démarche de son cœur et le cheminement de sa vie. Bien que loin de moi et grâce à ses écrits, il me semblait plus proche que beaucoup de ceux que je coudoyais chaque jour.
    Après notre rupture, il avait traversé une crise de désespoir qui l’avait conduit à un morne retour sur lui-même. En novembre 1555 parut son premier livre d’ Hymnes, genre qu’il n’avait jamais encore abordé. Il s’y montrait obsédé par l’idée de la mort.
    La fin chrétienne n’avait certes jamais été absente de ses poèmes, mais pas de la même façon. Jusque-là, elle était pour lui thème à méditations religieuses ou philosophiques. Dans les Hymnes, elle est présentée comme seul et ultime recours contre le chagrin :
     
    Je te salue, heureuse et profitable mort,
    Des extrêmes douleurs médecin et confort…
     
    N’était-ce pas là un ton nouveau dans une œuvre plus gaie que triste et plus préoccupée auparavant des biens de ce monde que de ceux de l’autre ?
    Je serre les lèvres. Une fois encore, je me prends en défaut ! Comment puis-je, en secret, tirer vanité d’avoir conduit jusqu’à la désespérance un homme, un poète, dont bonheur ou souffrance dépendait de moi ?
    Je tiens à être lucide et franche avec moi-même. Me suis-je jamais enorgueillie du changement de ton constaté dans les vers de Pierre ? Je ne le crois pas. Je me suis contentée de déduire d’un style nouveau une évolution à laquelle je ne pense pas avoir été étrangère. C’est tout. Y a-t-il trace de suffisance dans une semblable attitude ?
    Je sais bien qu’on pourrait trouver d’autres raisons à une telle transformation : la guerre contre l’empereur avait repris, la peste sévissait par à-coups à Paris et dans les provinces. Pierre lui-même l’avait fuie. La mort de deux papes, à un mois d’intervalle, les troubles qui s’en étaient suivis, tous ces événements dramatiques avaient frappé les esprits. Pourquoi pas celui de Ronsard ? Par ailleurs, n’était-il pas également déçu en constatant que les promesses du Roi à son égard n’avaient pas été respectées, que le projet auquel il tenait tant d’écrire sa fameuse Franciade demeurait sans écho, sans soutien ? Pour aggraver un peu plus les choses, Joachim du Bellay était parti pour Rome où il se morfondait. Son absence devait affecter Pierre. Un semblable faisceau de préoccupations publiques et privées pouvait certes justifier la tristesse des Hymnes.
    Sans nier que ces différentes calamités aient pu influencer Pierre, je restais cependant persuadée que les douleurs évoquées dans ces poèmes-là étaient plus personnelles, plus intimes que les tragédies du siècle. Ne s’écriait-il pas dans son Hymne à la Mort :
     
    C’est une grande déesse, et qui mérite bien
    Mes vers, puis qu’elle fait aux hommes tant de bien,
    Quand elle ne ferait que nous ôter de peines,
    Et hors de tant de maux dont nos vies sont pleines…
     
    Et ailleurs :
     
    Eh, Dieu du ciel, je n’eusse pas pensé
    Qu’un seul départ eût causé tant de peines !
     
    Enfin, cette apostrophe à mon

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