Les amours blessées
adresse :
Toi qui m’as fait vieillir, Cassandre.
Les explications de Jean Galland m’ont à présent donné raison. Mais en la circonstance, je n’avais pas besoin d’apaisement. Il en fut tout autrement au sujet des infidélités si variées, si étalées, si scandaleuses que Pierre ne tarda pas à multiplier comme à plaisir par la suite…
Peu après mon départ de Courtiras, et sans doute par défi autant que par lassitude, il suivit un de ses amis en Anjou. Il y rencontra Marie de Bourgueil… J’ai beaucoup pleuré à cause de cette petite villageoise angevine dont Pierre parla si bien. Elle était la première rivale qu’il m’opposait, la première d’une longue liste dont chaque nom fut pour moi comme une pierre reçue en plein cœur… Car c’était une chose que d’avoir renoncé à tout amour charnel avec lui, c’en fut une autre que de lire les descriptions suggestives de tant d’ébats.
Je me revois dans ma chambre, des larmes coulant sans que je fasse rien pour les retenir sur ce visage dont l’infidèle m’avait assuré qu’il serait à jamais la seule image de l’amour pour lui, et tombant sur les pages du livre où il détaillait avec complaisance les charmes d’une autre… Les mots que je lisais me déchiraient comme autant de coups de griffes…
Depuis la venue de Jean Galland, je sais que l’imagination de Pierre et le besoin d’exaltation sentimentale qui lui était nécessaire pour créer, avaient considérablement embelli le tableau. En réalité, il n’y eut pas une, mais trois Marie !
Ce prénom, composé des lettres qui donnent « aimer » si on les intervertit, a beaucoup servi à Ronsard. Une telle anagramme lui paraissait commode. Sous son couvert, il a mélangé ses modèles. La petite Marie de Bourgueil a bel et bien existé, il ne me viendrait pas à l’idée de le nier. Mais ce ne fut pour Pierre qu’une passante parmi d’autres. Il a lui-même reconnu dans certains de ses sonnets qu’avant de jeter son dévolu sur elle, il avait hésité entre ses deux autres sœurs :
Je ne suis seulement amoureux de Marie,
Jeanne me tient aussi dans les liens de l’amour…
Et puis encore :
Aussi je ne dis pas que votre sœur Thoinon
Ne soit belle, mais quoi ? vous l’êtes davantage.
Je sais bien qu’après vous elle a le premier prix
De ce bourg, en beauté, et qu’on serait épris
D’elle facilement, si vous étiez absente…
Tout cela n’est guère sérieux et je me dis aujourd’hui que la jeune Angevine n’a sans doute servi qu’au divertissement passager d’un amant éconduit. Mais, à l’époque où je prenais connaissance de ces déclarations enflammées, elles me faisaient grand mal…
Il y eut encore deux autres Marie. La seconde était d’un tout autre parage ! Il s’agissait de Marie Cabrianne, demoiselle de la Guyonnière, fille d’honneur de notre Reine et parisienne de haut lieu. Belle, intelligente, instruite dans les arts, cette jeune femme coquette était en réalité pour moi une rivale infiniment plus dangereuse que l’innocente petite paysanne des bords de Loire. J’ignorais alors son existence. Comme tout le monde, je croyais à la fable de l’unique Marie.
Pierre fut amoureux de la deuxième comme il l’avait été de la première… comme il le fut par la suite d’un grand nombre de belles créatures. Il était si facile de le séduire ! Il ne demandait pas autre chose et aimait tant l’amour qu’il lui était impossible d’éviter ses pièges…
Pour avoir été sa première passion véritable, pour être demeurée, durant des lustres et au-delà des multiples aventures qui jalonnèrent son existence, la seule durable, je détiens une science sans seconde d’un corps et d’un cœur aussi inflammables l’un que l’autre. Pierre tombait amoureux comme on s’enrhume ! Seulement, dans l’enthousiasme des débuts, il ne savait pas toujours discerner comme il l’aurait fallu amour et amourette !
En secret, comme à l’accoutumée, puisque dans ma vie ce qui importait a toujours été celé, tu, étouffé, j’ai éprouvé une peine profonde, je me suis souvent désespérée en constatant une telle évidence.
Puis, avec le temps, j’en suis parvenue au point où on admet la vulnérabilité et les faiblesses d’un être d’exception qu’il faut accepter d’aimer dans son intégralité et non en choisissant ce qui vous en convient.
Aucune de ces passades n’empêcha
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