Les amours blessées
Pierre de continuer son œuvre. Au contraire. Là aussi, je dus reconnaître que chacune de ses conquêtes lui inspirait, comme du temps où j’occupais seule son cœur, de nouveaux poèmes et relançait sa Muse… Sans désemparer, il publia durant les mois qui suivirent l’été de nos adieux, les Hymnes, Le Bocage, la Continuation des Amours, Les Meslanges, la Nouvelle Continuation, et j’en oublie certainement !
S’il s’étourdissait au travail, s’il cherchait inspiration et oubli auprès de séduisantes nouvelles venues, il tenta hélas de trouver également dans la débauche une aide supplémentaire. Dès l’automne de 1554, après avoir quitté le Blésois où plus rien ne le retenait, il prit part aux parties fines données par Jean Brinon. Conseiller du Roi, cet homme de plaisir se voulait protecteur des écrivains et des poètes. Il recevait de manière fastueuse, tantôt dans son hôtel parisien, tantôt dans ses propriétés de Villennes ou de Médan. Au cours de ces réunions, la licence prenait souvent le relais de l’esprit. J’en entendis parler. En beaucoup moins champêtre, en beaucoup moins sain, c’était le même genre d’agapes que celles organisées à la Bonaventure par le père de Marie. Dans des réunions de cette espèce, que cherchait Pierre ? Pour moi qui connaissais la délicatesse de ses sentiments, mais aussi les exigences de sa sensualité, il ne pouvait s’agir que d’une entreprise inconsidérée de défi et de provocation tournée contre lui-même mais aussi contre moi.
Si certains se sont étonnés que Pierre ait pu, dans les poèmes publiés durant cette période, passer de la mélancolie la plus sombre à des accès de gaieté dégénérant parfois en grivoiserie affichée, c’est parce qu’ils ne le connaissaient pas aussi complètement que moi. Il ne fallait voir dans ces ruptures de ton que les errances d’un homme écartelé entre des sentiments contraires, tiré à hue par son cœur et à dia par son corps.
Ronsard était double, triple… il était légion ! Ainsi qu’un navire dans la tempête, il tanguait, il roulait, d’un bord à l’autre, d’une extrémité à l’autre, d’une vague à la suivante !
Cependant, son désir de ne plus me déplaire ne cessait de se trahir par de petits détails. Je me souviens, par exemple, qu’en publiant Le Bocage et les Quatre Premiers Livres des Odes, il avait laissé son propre portrait figurer en frontispice alors qu’il en avait fait retirer le mien. Il savait combien j’avais été blessée de me voir représentée à demi nue sur son premier ouvrage et ne voulait pas risquer de me heurter de nouveau.
Quant aux trois Marie, ce ne furent qu’amours passagères et sans lendemain. D’après ce que je sais à présent, je crois pouvoir affirmer que Marie de Bourgueil fut courtisée par Pierre durant trois étés et Marie de Cabrianne pendant quatre hivers ! Il allait de l’une à l’autre, de l’Anjou à Paris, de la campagne à la ville, en suivant les saisons et l’humeur du moment :
D’une belle Marie en une autre Marie,
Belleau, je suis tombé, et si dire ne puis
De laquelle des deux plus l’amour je poursuis,
Car j’aime bien l’une, et l’autre est bien m’amie.
a-t-il écrit à un de ses amis, Rémy Belleau, qui lui servait de confident. C’est assez clair.
En y songeant, je retrouve une fois encore l’étrange impression toujours ressentie à chacune des nouvelles amours de Pierre. Comme une rivière souterraine qui coule sous un sol lui-même irrigué de multiples ruisseaux, son attachement pour moi survivait et continuait son chemin sous la trame superficielle de ses divers emballements… À bien observer le parcours suivi par mon amant, je m’aperçois par ailleurs qu’aucune de ses belles n’a su lui répondre ainsi qu’il le souhaitait. Elles s’amusaient, les unes après les autres, à le faire languir, tout en tirant vanité de détenir une telle proie dans leurs filets, puis se détournaient de lui. En ces galanteries tant chantées, Pierre n’a récolté en somme qu’un grand nombre de déceptions pour quelques rares aboutissements…
Quant à la troisième Marie, ce n’est pas Ronsard mais notre souverain actuel, Henri III, qui fut follement épris de cette grande dame, Marie de Clèves, marquise d’Isle, devenue par son mariage, princesse de Condé ! Épris au point d’en arriver aux pires extravagances à la suite de la mort de la jeune
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