Les amours blessées
complète. La vie a de ces ironies… Mais rencontre n’est pas réconciliation. Dès que je sus la date de la confrontation qui m’attendait, je m’entraînai à affermir mon cœur. Je connaissais trop la séduction que Ronsard exerçait sur moi pour ne pas craindre des retrouvailles qui raviveraient mon trouble en même temps que mes meurtrissures. Le temps du pardon n’était pas encore venu. Les circonstances ne s’y prêtaient pas non plus…
À partir du moment où Pierre devint un homme célèbre, son destin, et par conséquent le mien, se trouvèrent étroitement mêlés aux événements politiques de notre siècle. Cette fois-ci, il s’agissait d’un mariage princier.
La guerre qui opposait la France aux Impériaux et aux Anglais venait d’être interrompue. Le royaume connaissait alors une courte trêve, le Roi décida de procéder aux noces de sa fille Claude avec le duc Charles de Lorraine. Cette alliance de la famille royale avec la branche aînée de la maison de Guise fit beaucoup de bruit. Non sans raison. Elle devait entraîner de lourdes conséquences. Mais on était décidé à ne voir que le bon côté de ces épousailles.
Les enfants de notre souverain étaient en pleine période matrimoniale. Déjà des fêtes fastueuses s’étaient déroulées à l’occasion de l’union, survenue après de longues fiançailles, du dauphin François avec la jeune reine d’Écosse, Marie Stuart, à laquelle l’avenir réservait tant de tribulations et une si pénible destinée… Qui aurait pu le dire au moment de son triomphe nuptial ? Après la victoire que le duc de Guise venait de remporter sur l’ennemi en lui reprenant Calais, la liesse était générale. On se sentait vengé de la cruelle défaite de Saint-Quentin. La belle revanche comportait également, hélas, des aspects fort inquiétants. Ce fut à sa suite, pour remercier le clergé qui avait largement contribué à l’effort financier demandé au pays, qu’Henri II favorisa la poursuite des délits d’opinions religieuses dans le royaume, afin d’extirper les hérésies et fausses doctrines des Réformés.
Dès lors, l’intolérance s’installa en chacun de nos foyers, en chacune de nos villes, dans chaque province… Elle ne les a pas quittés depuis ! À l’intérieur des frontières, on s’adonnait à la chasse aux huguenots ; à l’extérieur, on se battait à la fois contre les Anglais, sur mer, et contre l’Empereur, sur terre ! Victoires et défaites étaient notre pain quotidien.
Ce fut durant la trêve nécessitée par des négociations faites en vue de la future paix de Cateau-Cambrésis, d’heureuse mémoire, qu’eurent lieu les fameuses noces qui m’amenèrent à revoir Pierre. Mon frère Jean avait été nommé peu de temps plus tôt surintendant de la maison ducale. Grâce à son appui, mon mari était parvenu à obtenir la charge qu’il convoitait : maître d’hôtel de la nouvelle duchesse de Lorraine. À ce titre, nous avions été conviés aux fêtes du mariage pour être présentés à leurs altesses.
De son côté, Ronsard avait été chargé de composer textes et divertissements poétiques proposés à la Cour, en son château de Meudon, par le cardinal de Lorraine, oncle de la mariée. Il avait également écrit un envoi pour le tournoi qui devait suivre. Revenu de Rome où il s’était tant ennuyé, du Bellay avait, lui aussi, été appelé à participer à l’organisation des festivités.
Je savais tout cela et m’étais donc préparée à des rencontres inévitables. Fatalement, nous nous verrions, nous nous croiserions, nous serions même peut-être amenés à nous saluer… Je croyais m’être cuirassée contre les surprises des chassés-croisés de la vie de Cour… Je m’étais trompée. En revoyant Pierre pour la première fois, lors de la présentation à la duchesse et au duc, une émotion violente comme un raz de marée me submergea. Il se tenait assez loin de nous et s’entretenait avec deux évêques. La maturité et le succès lui allaient bien. Je me sentis frissonner et mon cœur me fit mal comme si des doigts de fer le pressaient soudain.
Raidie, cramponnée au bras de mon mari en compagnie duquel je saluai, suivant la coutume, le couple ducal, je me sentais défaillir. Il me fallait cependant sauver les apparences, ne rien laisser paraître de mon émoi. Je parvins à faire bonne contenance… mais fus seule à en connaître le prix !
Pierre, je le sais à
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