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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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présent, s’interrogeait sur la conduite à tenir à mon égard. Il estimait sans doute que j’avais attaché trop d’importance aux dégâts causés par ses poèmes et redoutait d’autant plus des réactions pour lui imprévisibles. Joachim, qui faisait cause commune avec lui, l’imita. Ils calquèrent donc leur façon d’être sur la mienne et firent mine de m’ignorer. Par chance, il y avait foule autour de nous… de nous qui rêvions à des rapprochements impossibles dont nous nous préservions pourtant avec le plus grand soin !
    Il est vrai que notre situation se révélait des plus délicate. Mon époux, qui avait juré de ne plus jamais adresser la parole à son cousin, arborait un mauvais sourire en m’imposant une surveillance draconienne. D’autre part, beaucoup de nos relations se divertissaient sous cape de la partie de cache-cache à laquelle le sort nous contraignait tous trois. Prêts à tirer les pires conclusions du moindre regard, du moindre signe de reconnaissance entre le conseiller du Roi et une femme dont on avait déjà tant médit, les mauvaises langues s’aiguisaient…
    Au même titre que l’avenir de ma fille que j’entendais préserver, la nouvelle charge de Pierre exigeait de nous une tenue irréprochable. Nous ne pouvions nous permettre nul faux pas. Tant que durèrent les réjouissances, je vécus dans l’angoisse. Ce me fut beaucoup plus dur que je ne l’avais imaginé.
    Les fêtes furent longues et superbes. Triomphante et soudain portée au pinacle, la maison de Lorraine ne lésina pas sur les frais. Si, en raison de la conjoncture, bien des gens jugèrent de mauvais goût un tel faste, les partisans des Guise, eux, pavoisèrent. Je conserve de ces journées le souvenir fasciné et anxieux d’une succession de festins, de bals, de concerts, de joutes, noyés à mes yeux dans la buée tremblante d’une fièvre aussi inavouable aux autres qu’à moi-même.
    En quoi le choc éprouvé aurait-il changé quoi que ce fût à mes résolutions ? Je ne pouvais toujours pas pardonner à Pierre les erreurs aberrantes qui nous avaient conduits là où nous en étions. Ce n’était pas les affres endurées sur place à cause de lui et par lui qui avaient la moindre chance de m’incliner à plus de mansuétude…
    Nulle part Ronsard n’a jamais fait allusion à ces heures confuses. Il en a souffert comme moi. Peut-être même davantage. N’était-il pas le fauteur de troubles, alors que j’en demeurais la victime ?
    Cependant, dans le divertissement composé en l’honneur des jeunes époux, il avait imaginé deux bergers s’entretenant de leurs amours. L’un parlait en son nom propre, l’autre en celui de du Bellay. Or, le premier soupirait :
     
    … hier, ma Cassandrette,
    Que j’aime plus que moi…
     
    et dans l’envoi du tournoi, le pastoureau Ronsard enviait le chevalier que sa dame avait vêtu et armé avant les joutes, selon la tradition. Il s’en montrait ouvertement jaloux. Cette dame, c’était moi…
    Je ne sortis pas indemne de ces journées de fête. Ce fut l’âme en déroute que je rentrai au logis… Je venais de découvrir que je n’en avais pas fini avec Pierre !
    Comment aurait-il pu ne pas m’obséder ? On parlait de lui partout !
    L’année 1559, si douloureuse pour la France qui y perdit son roi tué dans la force de l’âge lors d’un tournoi fatal, fut pour Ronsard une des plus fécondes et des plus fructueuses de sa carrière.
    Après un silence de deux ans qui avait suivi le trépas de Claude de Ronsard, son frère aîné, dont la succession nécessitait son entremise et tous ses soins, il s’était remis au travail, tout en préparant l’édition collective de son œuvre. Il attachait la plus grande importance à cette entreprise que certains autour de moi jugèrent prématurée. Il l’acheva en 1560, peu après la fin tragique d’Henri II.
    À travers ses poèmes, je le sentais violemment affecté par les disparitions si proches de son frère, de son souverain, puis de son meilleur ami, notre cher du Bellay, parti en pleine jeunesse.
    Ce fut un temps de deuil et d’affliction pour tous les habitants du royaume, mais tout spécialement pour Pierre qui, en plus de la mort du roi, sensible à chacun de nous, perdit les deux hommes auxquels il tenait le plus. S’il travailla tant pendant cette période, ce fut sans doute pour échapper à ses fantômes.
    À distance, je partageais toutes les peines qui le frappaient, je

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