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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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imposée par elle comme par-delà tant d’autres inclinations. Si je puisais dans cette remarque un allègement certain à mes peines, j’y trouvais aussi matière à rêver. Il m’arrivait alors d’être tentée de lui écrire pour lui annoncer mon pardon, pour l’appeler au secours, pour renouer le fil de nos amours, brisé de mes propres mains…
    Je suis parvenue chaque fois à repousser cette tentation en me répétant que mon attitude clémente ne suffirait pas à transformer Pierre. Il aimait l’amour et les femmes. Une seule aurait-elle jamais pu lui suffire ? D’autant plus que ce que je souhaitais lui proposer ne pouvait le satisfaire. Je restais sur mes positions : par respect envers ma fille, je me devais de renoncer à toute relation adultérine. Or, ce n’était pas de mon amitié que Pierre avait envie… Entre ces deux êtres qui réclamaient tous deux de moi un choix contradictoire, je me trouvais déchirée…
    Aujourd’hui, je peux raisonner avec calme sur les mouvements d’un cœur à présent rendu hors du bruit des passions. Il n’en était pas ainsi au temps de ma trentaine. À la lecture de certains poèmes un grand trouble m’envahissait :
     
    … si de fortune une belle Cassandre
    Vers moi se fût montrée un peu courtoise et tendre,
    Un peu douce et traitable, et soigneuse à guérir
    Le mal dont ses beaux yeux dix ans m’ont fait mourir…
    … je ne l’eusse laissée…
     
    Une fièvre s’emparait de moi. Je prenais une plume, je m’asseyais devant une table, prête à lui écrire… puis je me remémorais notre passé, nos luttes, mes combats, j’évoquais les traits des autres femmes dont il avait aussi parlé avec beaucoup de feu, et je reposais ma plume… Je savais trop bien ce que Pierre entendait par tendresse… Il n’était rien moins qu’un pur esprit ! Jamais il ne se serait contenté de soupirer à mes pieds. Quel homme épris, d’ailleurs, l’aurait accepté après ce que nous avons vécu ensemble ? Nous ne pouvions, hélas, que nous séparer. Un peu plus tôt, un peu plus tard, il nous aurait fallu en arriver à cette solution.
    Je soupire et me lève afin de remettre deux grosses bûches dans la cheminée.
    François dort avec application. Je reprends ma place.
    Depuis trente ans et plus, j’ai eu le temps de réfléchir à ce qui nous est arrivé. J’en suis parvenue à la conclusion que les choses ne pouvaient pas se dérouler autrement qu’elles ne l’ont fait. Le soin scrupuleux que j’apportais à l’éducation de Cassandrette, mon désir de rester à ses yeux une mère exemplaire, la suspicion de mon mari, tout se conjuguait pour nous éloigner l’un de l’autre, Pierre et moi. Je n’ai pas été insensible et cruelle comme il lui est arrivé de le prétendre en des instants de rancune. Je suis seulement demeurée fidèle aux valeurs de l’amour maternel et du devoir qui comptaient tant pour moi.
    Si Pierre s’est souvent plaint de ce que je l’avais mal traité, c’est là une réaction masculine. Avec l’inconsciente assurance des hommes, il n’a jamais voulu s’arrêter sérieusement aux souffrances qu’il m’avait lui-même infligées. Déception, tourment, humiliation, dégoût, causés d’abord par ses écrits, puis jalousie, angoisse, chagrin, provoqués ensuite par les tapageuses aventures qu’il proclamait et décrivait à chaque fois sans vergogne. Était-ce rien ? En ne m’épargnant aucun détail de ses conquêtes, ne pensait-il pas à ma tristesse ? A-t-il seulement jamais pris garde au subtil supplice qu’il m’infligeait de la sorte ?
    Ces reproches mutuels que nous formions chacun dans les replis de nos cœurs, nous n’en avons jamais parlé après nos retrouvailles. À quoi bon ? Nous avions mieux à faire. Nous avions à réparer les trous de nos manteaux…
    Heureusement pour moi, je me défiais d’instinct des sentiments extrêmes et de leurs manifestations. À chaque nouvelle frasque de Pierre, je parvenais tant bien que mal, après des jours lancinants et des nuits d’insomnie, à recouvrer ma paix dévastée. Je me réfugiais auprès de ma fille et me rassasiais de simples joies maternelles. Elle était mon recours. Lorsque mon pauvre cœur, labouré par l’angoisse de la solitude, était trop lourd, je décidais de passer la soirée en compagnie de Cassandrette que j’autorisais pour la circonstance à veiller exceptionnellement.
    Ces heures d’après le souper, égrenées en tête

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