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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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droite de Pierre. Il se pencha vers moi.
    — Une escapade est toujours possible, mon cœur, murmura-t-il. Vous l’avez prouvé en venant hier rue des Fossés Saint-Victor. Quand y reviendrez-vous ?
    — Je ne puis y retourner. Pourquoi vous entêter ainsi ?
    Je m’efforçais de garder un maintien réservé, demeurais attentive à surveiller mes gestes et mes expressions pour le cas où quelque regard indiscret se serait intéressé à notre aparté.
    — Cessons de ne parler que de nos rendez-vous, proposai-je. Où en êtes-vous de vos études, de vos travaux, de ces poèmes dont vous m’entreteniez si souvent dans vos lettres ?
    — Les receviez-vous sans difficulté ?
    — Catherine s’est toujours arrangée pour me les faire parvenir à bon port.
    Des éclats de voix, des rires, des échos de conversations proches, nous entouraient d’un mur bourdonnant et secourable, d’un rempart de rumeurs.
    — Je travaille sans désemparer pour tenter de me distraire de vous, enchaîna Pierre avec un triste sourire. J’écris à l’intention de Marguerite de Navarre une déploration de la mort prématurée du duc d’Orléans, tout en composant par ailleurs une ode que je compte adresser au frère de la duchesse d’Étampes, Charles de Pisseleu, qui me fait la grâce d’aimer mes vers. Je me livre aussi avec frénésie au grec et au latin afin d’oublier, si c’est possible, que j’aime une cruelle…
    — Que dites-vous là ? Vous me savez fidèle. Fidèle à notre serment, à notre engagement, à nous, enfin !
    — Le serez-vous toujours ?
    Je commençais à le bien connaître. Quand ses prunelles se rétrécissaient ainsi, c’était signe d’orage.
    — Parfois, je crois devenir fou en songeant à tout ce qui me sépare de vous ! gronda-t-il entre ses dents.
    — N’y songez donc pas à présent. Ne sommes-nous pas très proches ?
    Je souriais, lui reprenais la main.
    — Allons, allons, monsieur mon poète, profitez de l’instant ! Je croyais que votre philosophie personnelle reconnaissait en ce bas monde le « Carpe diem » comme la seule attitude digne d’un homme de qualité.
    — C’est tout autrement que je conçois d’appliquer cette maxime, répondit Pierre dont le regard se remit à briller. Ne vous faites pas plus innocente que vous ne l’êtes, mon cher amour. Vous savez fort bien ce que j’entends par là !
    Je fis la moue et détournai la tête. Ce fut pour apercevoir, au centre d’un groupe bavard qui se tenait non loin de nous, le visage de Jean de Pray qui s’esclaffait au moment où nos yeux se croisèrent. En me reconnaissant, il changea d’expression. Nous nous étions déjà rencontrés quelques fois depuis que j’étais à Paris. À chaque occasion, il s’était remis à me conter fleurette ainsi qu’il n’avait cessé de le faire à Talcy durant l’été. Je savais qu’il se rendait assez souvent dans la capitale où sa charge lui donnait accès auprès des grands du royaume. Fidèle à sa façon de faire, dès qu’il m’eut vue, son rire gaillard se transforma en air enjôleur. Quittant ses interlocuteurs, il s’approcha sans plus tarder de nous.
    — Belle Cassandre, je dépose mes hommages diurnes à vos jolis pieds… Mon cousin je te salue ! Mordieu ! Tu te fais rare ! Il y a une éternité, mon cher, que je ne t’ai rencontré !
    Pierre haussa les épaules.
    — J’étudie du matin au soir, répondit-il sans chaleur aucune. J’ai la chance d’avoir Dorat pour professeur.
    Jean de Pray, dont le pourpoint de velours amarante tracé d’or et les hauts-de-chausses aux crevés de taffetas brodé étaient un modèle d’élégance, fit entendre un léger sifflement entre ses dents.
    — Quelle vénération dans la façon dont tu as prononcé ce nom ! Peste ! Voilà un maître qui sait se faire apprécier ! Je t’admire de pouvoir admirer de la sorte !
    Il rit de sa plaisanterie avec complaisance.
    — Il est vrai que tu ne manques pas de mérite, toi non plus, poursuivit-il sans paraître gêné par notre froideur. Se remettre aux études à ton âge, après avoir mené la vie mouvementée et vagabonde de page ou d’écuyer à la Cour, c’est là faire montre d’un beau courage !
    Qu’importait à ce gentilhomme fortuné, oisif, qui avait trouvé une charge prestigieuse dans son berceau, l’obscur labeur d’un cousin désargenté, cadet de surcroît ? Si Pierre devenait célèbre, si ses vers chantaient dans toutes

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