Les amours blessées
certaine, quelques occasions à saisir au passage.
Il n’y en eut que deux durant le temps de notre séjour parisien. Ma mère me surveillait de fort près et ne consentait que peu souvent à me laisser derrière elle. Telle que je la connaissais, elle devait se méfier de sa tante dont la réputation n’était plus à faire. Aussi m’attachait-elle à ses pas.
Si elles furent rares ou peut-être parce qu’elles le furent, nos rencontres secrètes ne s’en révélèrent que plus douces.
J’avais écrit à Pierre en lui faisant part de la chance qui nous était offerte. Je lui expliquais la complicité dont nous avions bénéficié. Je lui disais aussi que je tenais avant tout à ce que ces heures passées ensemble, ces heures volées aux interdits imposés par ma famille, fussent pures de tout désir de luxure. Nous devions les consacrer à la mutuelle connaissance de nos cœurs, non à des jeux de la chair. J’insistai sur cette clause qui m’importait au premier chef.
Je fus entendue.
Nous nous trouvions encore dans une période de prémices amoureuses durant lesquelles les souhaits de l’aimée sont des ordres pour l’homme épris. Maîtrisant donc son désir pour me complaire, Pierre accepta de se plier à mes exigences.
Ces deux rendez-vous demeurent dans mon souvenir comme des clairs îlots, pleins de rires, de baisers, de confidences, d’aveux et de serments, cernés de tous côtés par la marée envahissante de la vie parisienne.
Assis sur une banquette vétuste, dans la petite pièce du pavillon perdu au milieu des arbres nus de décembre, entêtés par une insistante odeur de moisi et de feu de bois, nous avons passé devant l’âtre de notre précaire asile quelques heures sans poids, arrachées à l’existence tourbillonnante qui était alors la mienne. Nous les vivions comme on déguste un sorbet… Ce furent elles, par la suite, plus que toutes autres, qui m’inspirèrent regrets et remords…
Le reste du temps, je sortais avec ma mère, je voyais et fréquentais tout ce qui comptait à Paris. J’étais fort courtisée. Il m’arrivait de rencontrer Ronsard dans certaines de ces réunions, de voler à la vigilance maternelle quelques instants de conversation avec lui. Ces brefs moments de tête-à-tête étaient le plus souvent remplis de sollicitations, de reproches, d’invites que je ne voulais pas entendre. Ce n’était que dans le pavillon que nous connaissions un accord harmonieux. Ici et là nous nous comportions de façon bien différente. La solitude à deux nous incitait à la tendresse alors que l’irritation causée chez Pierre par les difficultés nées de notre trop accaparant entourage nous opposait dans le monde.
Je quittai Paris à la fin de ce mois de décembre insolite en me disant que j’aurais aussi bien fait de ne pas suivre mes parents dans la capitale. Ce qui était sans doute vrai mais pour d’autres raisons que celles que je me donnais.
6
Pourquoi romps-tu si faussement ta foi ?
Ronsard.
Peu après les fêtes de la Noël, mon frère Jean épousa sa Jacquette. Comme aîné, il eut droit à des noces somptueuses dont tu te souviens certainement.
Tout ce qui comptait dans le Blésois s’y vit convié.
Ce fut d’un cœur dolent que j’assistai à la cérémonie ainsi qu’aux festivités qui suivirent.
Puis le froid s’intensifia. Les échos de la fête s’estompèrent, se fondirent, derrière un rideau dansant de flocons blancs.
Je commençai alors à m’ennuyer. Si je veux me montrer tout à fait loyale envers moi-même et mon passé, je dois reconnaître que Pierre me manquait moins que les divertissements parisiens.
L’effervescence sentimentale que l’amour d’un poète avait suscitée en moi au printemps précédent, alors que le renouveau, les lieux, les circonstances, conspiraient à créer autour de nous un enivrement à goût de fruit défendu, ce vertige d’une saison s’était dissipé. À Paris, où régnaient l’hiver et la vie mondaine, je n’avais pas retrouvé l’attrait grisant de mes premiers émois. Ronsard m’avait paru moins séduisant, un peu trop besogneux, sans doute… Si je ne l’avais pas osé jusque-là, je commençais peu à peu à me l’avouer.
Éblouie par les succès que je n’avais cessé d’obtenir lors des réunions où ma mère, avec adresse, m’avait menée sans désemparer, j’en étais venue à penser parfois fugitivement, il est vrai, qu’il y avait d’autres gentilshommes,
Weitere Kostenlose Bücher