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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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partageaient le reste de l’assistance, c’est-à-dire les hommes plus âgés, en de petits cercles et des groupes pleins d’animation.
    — Venez, venez, chères dames…
    Ma mère, qui était sans doute reconnaissante à sa voisine de lui avoir ouvert les yeux sur l’état véritable de Pierre, se dirigea vers elle avec affabilité. Notre tante en fit autant.
    Pour moi, dès que je l’eus saluée, je m’écartai de notre hôtesse pour chercher Catherine.
    Il y avait, comme je l’avais prévu, une foule d’invités sous le plafond à caissons de la vaste pièce aux murs couverts de tapisseries de lisse. De somptueux coffres et bahuts de bois lustrés, des sièges recouverts de velours cramoisi, des tapis de haute laine la meublaient.
    Sur des plateaux d’argent ou de laque, plusieurs serviteurs offraient des pièces de four, des confitures sèches, des beignets à l’orange, des pâtes de fruits, des gelées de toutes les couleurs.
    Je trouvai mon amie dans une pièce contiguë à la grande salle. Elle s’était installée avec quelques autres jeunes filles sur des coussins, devant le foyer d’une seconde cheminée, moins pompeuse que la première, où flambait également un bon feu. Autour de leur groupe, beaucoup de gens allaient et venaient.
    Je pris place près de Catherine, sur un coussin. Un plat de dragées aux épices et de pâtes de coing était posé au milieu de notre cercle. Chacune y puisait tout en bavardant.
    Je me souviens que je portais un vertugade de velours ivoire et que j’évitais de manger les sucreries offertes, aussi bien pour me protéger des taches poisseuses que parce que ma taille, enserrée dans un busc fort étroit qui l’affinait de troublante façon, ne me permettait pas le moindre écart gourmand.
    Nous discutions des mérites comparés du Pantagruel de Rabelais et des Contes de Boccace, quand une voix masculine s’éleva derrière moi.
    — On dirait les neuf muses !
    Je me retournai en riant.
    — Je n’avais pas pris garde à notre nombre, monsieur le poète, dis-je, mais il est vrai que les muses vous sont plus familières qu’à moi !
    Il souriait. Je retrouvais sur son beau visage la gaieté que j’aimais tant y déchiffrer.
    Catherine présenta Pierre à ses amies. La conversation devint générale jusqu’au moment où je me levai d’un mouvement insensible pour me diriger à travers la cohue, dans le balancement de mon vertugade, vers l’embrasure d’une fenêtre, comme pour regarder la rue à travers les petits carreaux de verre enchâssés de plomb.
    Ronsard me rejoignit bientôt.
    — N’était-ce pas une bonne idée de vous donner rendez-vous en un tel endroit ?
    Je me sentais fort à l’aise au sein de l’assemblée mondaine qui me permettait d’entretenir Pierre sans me faire remarquer. Je pense maintenant que la présence de tant d’inconnus devait aussi me procurer une réconfortante impression de sécurité. Ne me protégeaient-ils pas des trop vives ardeurs que je redoutais ?
    — Je préférerais qu’il y eût moins de gens, avoua Pierre avec une grimace. Vous seule avez du prix à mes yeux. Vous le savez parfaitement.
    — C’est déjà bien de pouvoir parler ainsi sans être surveillés, fis-je remarquer avec sagesse. Il faut être raisonnable.
    — Dieu sait que vous l’êtes !
    — C’est un reproche ?
    Nous étions-nous rencontrés au cœur de l’hiver parisien, au prix de tant de difficultés, pour nous chamailler ?
    — Allons, repris-je en tendant la main à Pierre, faisons la paix.
    Il prit ma main, la retourna, en baisa longuement la paume parfumée à l’héliotrope.
    — Tout le printemps de Talcy y est enclos, dit-il à mi-voix. C’est comme si une bouffée de notre avril venait de m’être apportée à travers le temps.
    — Vous voyez que ce moment n’a pas que des inconvénients ! fis-je remarquer, triomphante.
    Il abandonna à regret mes doigts qu’il tenait emprisonnés entre les siens.
    — Combien de temps comptez-vous rester à Paris ? demanda-t-il.
    — Deux semaines. Peut-être trois. De toute façon, nous serons de retour à Talcy pour la Noël.
    — Durant ce temps, si déplorablement court, pourrai-je vous voir ailleurs que dans de telles réceptions ?
    — Ce ne sera pas aisé. Nous sommes invités de tous côtés, et, pour ma part, je suis gardée comme la châsse de monsieur saint Denis en personne…
    Afin qu’il m’entendît bien, j’avais pris soin de me placer à la

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