Les amours blessées
toit. L’une, qui ne s’éloignait pas de ce qu’on pouvait attendre d’un jeune homme courtoisement épris, m’était réservée. L’autre s’adressait à ma mère. Selon le vieil adage, il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour séduire la mère afin d’obtenir la fille.
Sous le prétexte que Catherine de Médicis, dont l’intelligence et la sagacité n’étaient plus à découvrir, avait amené à sa suite plusieurs dames ou demoiselles de Toscane, que cette princesse vivait entourée de nombreux représentants de l’aristocratie florentine, que ses financiers, ses chapelains, son aumônier lui-même, étaient italiens, notre voisin ne cessait de louer le génie de la nation italienne et celui de ses enfants. Parmi ceux-ci, bien entendu, les Salviati occupaient une des premières places. Jean et Bernard, évêques d’Oloron et de Saint-Papoul, cousins de la Dauphine, mais aussi de mon père, lui paraissaient doués de toutes les vertus. Il ne tarissait pas d’éloges à leur sujet.
En dépit de sa lucidité, de son esprit critique, ma mère s’en montrait flattée, autant par amour conjugal que par satisfaction personnelle, puisqu’elle avait été élue dans sa jeunesse par un des plus brillants représentants de cette race prestigieuse.
C’était donc avec beaucoup de bienveillance qu’elle recevait les fréquentes visites du jeune gentilhomme. Elle envisageait également d’un bon œil les intentions matrimoniales qu’il ne faisait plus rien pour dissimuler. Très vite, en effet, il fut clair que Jean de Pray songeait à m’épouser.
On ne pouvait dénier qu’il fut un beau parti. Riche, doté d’une charge qui lui permettait d’espérer en occuper d’autres encore plus importantes, il était seigneur de Pray, un des six fiefs du Vendômois devant hommage lige au comte. Son père étant mort depuis longtemps, il régnait sans partage sur son domaine.
Contrairement à Ronsard, il se trouvait libre, fortuné, bien en Cour, il plaisait à ma mère et aussi à mon père qui, lui non plus, ne répugnait pas à le considérer comme un gendre possible.
Au fond, j’étais la seule à lui témoigner de la réserve. Aucun de ses avantages ne suffisait à me faire oublier Pierre. Seulement, dès lors, j’eus un rude combat à livrer contre toute ma famille conjuguée. Certains de nos amis, dont Gabrielle de Cintré qui faisait partie de ses plus ardentes propagandistes, ne tardèrent pas à se joindre au chœur familial pour me vanter les qualités et les mérites de ce beau seigneur.
Je ne peux pas dire qu’il me déplaisait. Cependant, il ne me plaisait pas non plus. Son extrême élégance, la légère affectation qui ravissait les dames de notre province, ses rires complaisants, son visage lisse comme un pain de sucre, me causaient une certaine gêne et ne m’inspiraient nulle sympathie. Il se dégageait de ce jeune homme, même quand il cherchait à séduire, une sorte de tranquille indifférence qui ne portait pas à l’aimer.
Le printemps revint. La Cour, hélas, ne suivit pas son exemple. La Dauphine s’était arrêtée à Fontainebleau pour accoucher. Le deux avril, elle mit au monde une fille qu’on prénomma Élisabeth. Le roi d’Angleterre, Henri VIII, souverain encombrant et magnifique s’il en fut, qui venait de signer un nouveau traité de paix avec François I er après la restitution de Boulogne, fut choisi comme parrain. Retardé par ces événements politiques, le baptême n’eut lieu qu’au début de juillet dans un déploiement de faste dont il me fallut me contenter d’ouïr le récit que m’en firent mes parents. Ils n’avaient pas jugé utile de m’y emmener avec eux.
Heureusement, Catherine de Médicis aimait Blois. Aussi y revint-elle après le baptême de la petite princesse afin de la confier à Monsieur et à Madame d’Humières, gouverneurs des enfants de France, en qui le couple delphinal avait la plus entière confiance. Le fils premier-né, François, et sa jeune sœur, résideraient désormais dans notre bonne ville. Ainsi en avait-il été décidé par le Dauphin et son épouse.
Ce fut une grande chance pour le Blésois où le séjour de la Dauphine ramena richesses et divertissements.
Au cours d’une des fêtes données au château, je revis Pierre.
Souffrant d’une forte fièvre quarte, ma mère n’avait pu m’accompagner. En l’absence de mon père, ce furent mes frères Antoine et François qui me servirent de
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