Les amours blessées
fut ce moment précis que mon mari choisit pour revenir.
Ses retours demeuraient toujours imprévus. D’ordinaire, je m’accommodais sans difficulté des allées et venues d’un homme pour lequel je n’éprouvais qu’indifférence. Cette fois-ci, il en fut autrement.
— Eh bien ! Je constate qu’on ne s’ennuie pas en mon absence ! lança Jean en se plantant devant nous.
Je levai les yeux pour apercevoir le visage soupçonneux de celui dont je portais le nom se découpant à contre-jour sur l’azur printanier.
Je ne l’avais pas entendu approcher et me sentis courroucée tout autant que troublée.
— Surgit-on comme cela, tout de go, m’écriai-je, sans crier gare ?
— Ne peut-on rentrer chez soi simplement, sans se faire annoncer à son de trompe ?
Nous nous dévisagions avec autant de rancune l’un que l’autre.
— Holà ! Cousin ! intervint Ronsard. Il me semble que vous vous méprenez. Je récitais quelques vers à Cassandre. Entre gens qui aiment également la poésie, je ne vois pas en quoi un tel passe-temps est blâmable. Qu’allez-vous chercher d’autre ? Ne suis-je pas votre parent ?
— Il est vrai, grommela Jean. Est-ce une raison ?
— Vous fréquentez trop de femmes légères, dis-je en me relevant et en tapotant le linon de ma jupe où s’étaient collés des brins d’herbe. Ces mauvaises relations vous font voir le mal partout. Surtout où il n’est pas.
— Nous vivons en un siècle où on ne peut se fier à personne ! s’exclama mon mari avec une rage froide. Pas plus à vous qu’à une autre ! Que faites-vous, d’ailleurs, en négligé, décoiffée, sans femme pour s’occuper de vous, à coqueter avec mon cousin ?
— Il vous l’a déjà dit : il me chantait ses derniers vers.
— Vous étiez bien proches !
— Vous savez que j’entends mal, reprit Pierre qui conservait son calme. J’ai l’habitude de me tenir au plus près des personnes auxquelles je parle. Sans cette précaution, toute conversation suivie m’est une épreuve.
— À première vue, il ne paraissait pas que celle-ci vous en en fût une !
Jean haussa les épaules. De la cravache qu’il tenait à la main, il cingla avec rage ses bottes montantes de cavalier.
— Admettons que ce conciliabule ait été innocent, continua-t-il sans chercher à dissimuler sa mauvaise humeur et avec cet entêtement qui m’irritait tant durant chacune de nos disputes. Avouez cependant que les apparences étaient contre vous.
— Seulement les apparences, affirma Pierre en se redressant à son tour. Il n’y a pas dans tout ceci de quoi fouetter un chat, mon cousin. Ce ne sont là que billevesées !
Jean m’interpella de nouveau.
— Quoi qu’il en soit, allez vous habiller plus décemment, madame, et recoiffez-moi ces cheveux qui vous transforment en saule pleureur !
Pour ponctuer sa remarque, il fustigea derechef une touffe de giroflées qui poussaient contre le muret entourant la banquette de gazon où nous nous tenions. Les doux pétales bruns et jaunes giclèrent en petites chiffes pantelantes qui s’éparpillèrent sur l’herbe.
Comme si le coup de cravache m’avait atteinte et non ces pauvres fleurs, je sentis les larmes me monter aux yeux. Pour que mon mari ne les aperçût pas, je me détournai brusquement avant de me diriger vers la maison. J’eus pourtant le temps de capter le regard navré et douloureux de Pierre posé sur moi.
Quand je redescendis, coiffée, parée ainsi qu’il convenait, je trouvai Jean tout seul.
— Ronsard s’en est allé, dit-il d’un ton maussade. Il ne me plaît pas que vous receviez ici, quand je n’y suis pas, un tonsuré dont les vers ne sont que prétextes à roucoulades. Toutes vos protestations n’y changeront rien. Je sais ce que je dis. Je n’entends pas être tourné en ridicule sous mon propre toit… ni ailleurs non plus !
De ce jour, mon mari ajouta la jalousie à ses autres défauts. Combien j’ai eu à en souffrir, tu ne l’ignores pas. Tu m’as souvent vue pleurer…
9
… Car je n’aime ma vie
Si non d’autant qu’il te plaît de l’aimer.
Ronsard.
Ce fut donc à Pâques 1550 que Pierre s’installa à Vendôme. De ce jour, ma vie s’éclaira.
Jean était le plus souvent absent. Sa jalousie me laissait ainsi de longues plages de répit. Libérée des tracasseries qu’il ne cessait pas de m’imposer durant ses brefs séjours, je me trouvais le plus souvent disponible pour goûter
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