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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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Odes ». Des partitions musicales y étaient jointes. Cette innovation permettait de chanter les vers écrits dans cette intention.
    Grâce à l’entremise de certains de ses amis dont le chancelier Michel de l’Hospital, la querelle qui avait si malencontreusement envenimé les rapports de Pierre et du poète prisé par la Cour, Mellin de Saint-Gelais, s’apaisa peu à peu. Bien conseillé, Ronsard décida de faire amende honorable. Il s’engagea à supprimer de ses Odes les moqueries et invectives qui avaient déplu par leur outrance. Il accepta également de composer quelques nouvelles pièces de vers plus respectueuses envers son vieil adversaire et les amis de celui-ci.
    Toutes ces chicanes furent d’ailleurs balayées par le vent de succès qui s’éleva soudain avec vigueur pour porter Pierre vers les cimes. Ses vers plurent. C’est peu de dire qu’ils plurent. Ils enchantèrent. Son talent fut reconnu d’un seul coup. La mode s’empara aussitôt de lui.
    Les échos m’en parvinrent à Courtiras. Chacun voulait lire et chanter l’ouvrage tant vanté. Il n’était plus de réunion où on ne parlât du jeune poète si estimé à Paris, où on ne citât des passages entiers de son œuvre. Parfois, on m’associait à lui, on me faisait compliment de l’avoir si bellement inspiré…
    J’appris que, dès le mois de décembre, il avait fallu procéder à un nouveau tirage des Amours. Le premier était déjà épuisé.
    Je goûtais une joie aussi réservée que profonde à suivre cette ascension.
    Dès la parution du recueil, Pierre m’en avait fait adresser un exemplaire. Une lettre y était jointe où il me disait que chaque ligne dont je prendrais connaissance avait été écrite avec le sang de son cœur, que l’ensemble composait un hymne en mon honneur, que ces Amours étaient nôtres, qu’à tout jamais il m’en faisait offrande comme à son unique inspiratrice et à sa seule passion. Il souhaitait y faire revivre la chronique amoureuse des mois que nous avions vécus à Courtiras. Il ajoutait que si certains passages me semblaient trop audacieux ou trop révélateurs, il m’en demandait pardon à l’avance mais que les retrancher de l’ensemble en aurait faussé le sens.
    Je dus convenir qu’il avait su s’arrêter au bord des aveux les plus indiscrets, qu’il n’avait jamais décrit clairement ma possession non plus que nos ivresses, que les allusions que j’y relevais ne pouvaient être comprises que de nous. La mythologie, les rêveries, les songes masquaient sans cesse une réalité dont nous demeurions les seuls à connaître le véritable visage.
    Je me persuadai que si Pierre était enfin parvenu à toucher tant de gens, c’était parce qu’il avait livré dans ses vers un peu de sa propre substance, qu’il s’était donné lui-même en pâture au public, qu’il n’avait pas hésité à mettre son âme à nu. Je savais que la popularité d’un artiste est à ce prix.
    Je me serais donc laissée aller sans aucune arrière-pensée à la douceur de cette nouvelle forme de complicité, intime bien que révélée, dissimulée et pourtant proclamée, si Pierre n’avait pas jugé bon de faire mettre en frontispice de son ouvrage nos deux portraits face à face. J’y apparaissais de profil, les seins nus. Sans doute nos traits avaient-ils été un peu stylisés par l’auteur de ces dessins inspirés des peintures de Denisot, mais nous restions encore beaucoup trop reconnaissables selon moi 4 .
    C’est peu de dire que j’en fus horriblement gênée. J’en fus consternée. C’était comme d’être promenée parmi une foule goguenarde, la poitrine offerte ! Les remarques malicieuses, hypocrites, compatissantes, qu’on ne manqua pas de m’adresser à ce sujet parmi mes relations ne firent que renforcer mon embarras. Gabrielle de Cintré, que je rencontrais de temps à autre chez certains de mes voisins, s’écria, paraît-il, qu’on savait que les muses étaient d’ordinaire légèrement vêtues. Qu’il ne fallait donc pas s’étonner de me voir ainsi dénudée puisque Ronsard m’avait élue comme telle ! On me rapporta aussi certaines réflexions blessantes émises par ma belle-famille.
    Un soir, Jean entra dans ma chambre gonflé de fureur.
    — Madame, dit-il avec un rictus de mépris, par votre faute on se gausse un peu partout de nous ! Je saurai faire taire les bavards, mais je ne veux plus, pour un temps, vous voir demeurer ici ! Partez ! Allez

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