Les amours blessées
passer les mois d’hiver à Blois.
Je partis. Cette fois, mes parents me reçurent avec affection. Mon état et l’obligation de faire taire les commérages les rapprochèrent de moi. Nous fîmes front ensemble. Ma mère me témoigna une sollicitude inhabituelle née de la satisfaction qu’elle éprouvait à me voir enfin grosse.
Je profitai de ce séjour pour aller rendre le plus souvent possible visite à Marie de Musset. Les remous provoqués par la renommée soudaine de Ronsard et par la reproduction de nos portraits joints inquiétaient son amitié. Je ne trouvai pas la force de lui cacher ce qui s’était passé entre Pierre et moi en l’absence de mon mari. J’éprouvai même un certain allégement à cette confession. Je lui décrivis également les agissements de Jean à son retour. Je n’eus pas à me repentir de la confiance que je lui témoignai. Marie se montra alors la plus compréhensive et la plus attentive des amies.
— Je suis d’avis d’éviter autant que faire se peut les occasions de pécher, me dit-elle quand je lui eus tout raconté. Mais, une fois le mal accompli, il n’est pas bon de s’appesantir sans fin sur ce qui a été. Votre amant est désormais loin de vous, occupé à se faire un nom, accaparé par sa réussite. Imitez-le. Tournez-vous vers l’avenir. L’enfant que vous attendez sera le meilleur des antidotes pour vous débarrasser des poisons du passé. Il sera votre œuvre. Consacrez-vous à lui comme Ronsard se consacre à la sienne.
Je l’approuvai entièrement. Pour sceller notre accord, je lui demandai d’être la marraine de mon premier-né.
— Avec joie, dit-elle en m’embrassant. Quand le moment de sa naissance approchera, faites-le-moi savoir. J’aimerais aussi être près de vous à l’heure où mon futur filleul fera son apparition dans le monde !
Comme les événements se plaisent le plus souvent à déjouer nos prévisions, les douleurs de l’enfantement me prirent plus tôt que prévu et je n’eus le temps de prévenir ni ma mère ni Marie.
J’étais en effet revenue dès le début du printemps à Courtiras où je tenais à faire mes couches. J’étais résolue à ce que mon petit vît le jour dans cette maison que j’aimais. L’insistance conjuguée de ma famille et de mon amie n’était pas parvenue à me faire changer d’avis. J’avais donc quitté Blois au début de mars afin de me réinstaller tranquillement chez moi.
Le matin du samedi saint, à l’aube de ce jour d’attente suspendu entre la mort et la Résurrection du Christ, dans le silence si déconcertant causé par le mutisme des cloches, je mis au monde l’enfant espéré. C’était une fille.
Tu assistais, Guillemine, à ma délivrance. Tu sais comme tout se passa aisément. Tu as vu éclater ma joie. Tu as aussi vu mon émotion. Je pleurais et je riais en même temps.
— Elle s’appellera Cassandre, comme moi, dis-je. Elle portera mon nom !
Depuis le début de ma grossesse, j’avais souhaité donner le jour à une fille. Je me disais qu’il me serait plus facile de la comprendre et de l’élever qu’un garçon. Je pourrais la garder près de moi, pour moi. Un fils aurait été revendiqué par Jean comme héritier. On m’en aurait séparée trop vite pour le confier à des maîtres d’armes, à des prêtres, à de savants professeurs. Je n’aurais pas pu le soigner lors de ses maladies d’enfant. Attaché à sa personne, un médecin s’en serait occupé. De nombreux domestiques se seraient disputé l’honneur de le servir. Dès l’âge de dix ans, il aurait été envoyé comme page à la Cour…
Dieu merci, rien de tel ne risquait de se produire avec une fille. Je savais que mon mari s’en désintéresserait. En toute liberté, je pourrais me consacrer à elle. Elle serait à moi. Rien qu’à moi.
— Je veux la nourrir au sein moi-même, sans engager, comme le font les autres jeunes femmes, comme l’a fait Jacquette, une nourrice pour l’allaiter, décidai-je.
Si j’avais voulu lui donner mon prénom, c’était pour signifier sans équivoque cette unique appartenance. Ma petite Cassandre ne relèverait de personne d’autre que de sa mère. Elle serait une autre moi-même.
— Votre fille vous ressemble de façon frappante, remarqua la sage-femme en déposant l’enfant emmailloté entre mes bras. À ce point-là, ce n’est pas courant.
En posant pour la première fois mes lèvres sur le doux et délicat petit visage aux yeux
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