Les amours blessées
en barque sur le Loir. Nous aimions ces randonnées matinales, l’odeur fade des plantes aquatiques, le bruit de soie de l’eau fendue par le bateau plat, les jeux de lumière sur la surface glauque de la rivière, les perles liquides glissant le long des rames, la vie furtive des animaux qui s’enfuyaient à notre approche, le vol des libellules dont le carrousel autour des joncs et des roseaux nous divertissait comme un spectacle.
Il faisait chaud. Juillet rayonnait sur la vallée. Nous nous étions attardés sous les branches accueillantes des saules et des trembles qui ombragent le courant tranquille et les prés qui le bordent. Nous revenions, des fleurs de nénuphars dans les cheveux, des brins d’herbe accrochés à nos légers vêtements d’été.
En nous approchant de la rive, nous aperçûmes Marguerite qui nous attendait, debout sur le ponton de bois. Elle portait un vertugade de taffetas mauve et se protégeait du soleil à l’aide d’un petit parasol de dame en même étoffe ouvert au-dessus de ses cheveux blonds crêpés et de sa bosse.
Si je me souviens si exactement de ces détails, c’est que ma belle-sœur m’apparut alors comme l’image redoutable et cependant un peu ridicule du destin.
Nos rires, notre connivence, notre lassitude heureuse étaient si faciles à interpréter que Marguerite ne put s’y tromper. Elle se garda pourtant de rien laisser deviner de ce qu’elle avait pu comprendre et m’accueillit par un compliment.
— Que vous êtes jolie, Cassandre, ainsi couronnée de fleurs ! s’écria-t-elle avec un enjouement fort bien imité. On dirait une naïade !
— N’est-elle pas la nymphe du Loir ? demanda Pierre tout en m’aidant à descendre de la barque. Belle comme Calypso et chantée comme elle…
— Il est vrai qu’elle a trouvé en vous un poète digne de ses charmes, convint la sœur de Jean avec le plus parfait naturel. Si je ne me trompe, elle est donc à la fois votre muse et la divinité de ces lieux.
Jusqu’à ce que nous parvenions en vue de la maison, la conversation conserva ce ton léger. Devant la porte, stationnait la litière de Marguerite que des valets vidaient de son contenu.
— J’espère que vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que je m’installe ici un certain temps en attendant le retour de mon frère, dit alors ma visiteuse. N’était-ce pas ce dont nous étions convenues ? Il a fallu la naissance de votre nièce pour changer nos projets.
— En effet, murmurai-je du bout des lèvres. En effet. Votre chambre vous attend.
Que pouvais-je dire, que pouvais-je faire d’autre ?
Ronsard dîna avec nous et prétexta un sonnet à terminer pour nous quitter une fois dégustés les melons pompons de notre jardin.
Je l’accompagnai jusqu’à son cheval.
— Quand nous reverrons-nous ? s’enquit-il à mi-voix.
— J’inventerai des courses urgentes à faire dans votre quartier, soufflai-je. Désormais, les choses seront moins faciles, Pierre, il ne faut pas nous le dissimuler.
— Je viendrai la nuit dans le pavillon de musique, mon bel amour. À présent, rien ne pourra me tenir éloigné de toi !
Il avait raison de ne pas consentir à perdre la moindre miette des précieuses heures qui nous restaient. Elles furent si brèves…
Courte et victorieuse, la guerre des Trois Évêchés ne dépassa pas ce beau mois de juillet.
Je sais que je ne le devrais pas, mais je t’ai déjà avoué tant de choses aujourd’hui, Guillemine, que je peux me laisser aller à te confier maintenant mes pensées secrètes quand j’appris que le traité de Passau venait d’être signé. J’en fus navrée. Il peut paraître monstrueux de déplorer la fin des hostilités entre son pays et un pays ennemi, indigne de ne se réjouir ni de la paix ni de la victoire. Mais n’avais-je pas des excuses ? Mon bonheur s’éteignait avec les combats. Le retour des troupes entraînait celui de mon mari. Il mettait un terme aux seules heures véritablement heureuses qu’il m’eût été donné de connaître depuis mon mariage… Et j’ignorais encore combien ce terme serait définitif !
À la fin du mois de juillet le roi licencia son armée. Au début d’août, Jean revint à Courtiras.
Deux jours auparavant, Ronsard et moi nous étions séparés dans les larmes et le désespoir. Après ces mois émerveillés, nous quitter n’avait été que plus douloureux.
Dieu ! Que j’ai pleuré, que j’ai souffert, que j’ai regretté
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