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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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clos que je contemplais avec une émotion que je n’aurais jamais crue possible auparavant, je découvris un nouvel aspect du bonheur. D’un bonheur violent et possessif, mais mystérieux et débordant d’une jubilation clandestine, d’une connaissance informulée du lien secret qui nous unissait, cette enfant et moi.
    Si elle me ressemblait tant, c’était que Dieu l’avait voulu ainsi, en signe de pardon pour mes fautes, mais également pour confondre les curieux et égarer les indiscrets… Je goûtais avec délice l’ambiguïté d’une telle similitude pour m’en repaître comme d’une communion…
    Le jour même de la naissance, je fis prévenir mes parents, Marie de Musset et aussi Jean que je ne pouvais tenir dans l’ignorance d’un semblable événement.
    Ma mère et Marie arrivèrent le plus vite possible et s’installèrent auprès de nous. Mon père vint saluer cette seconde petite-fille et repartit assez rapidement pour Blois. Il était désappointé. Toujours pas de garçon dans la nouvelle génération et aucun héritier en vue !
    Soucieux de sauver les apparences, mon mari vint me rendre visite dans les délais exigés par les convenances.
    Il demeura glacial, se pencha sur le berceau, interrogeant du regard les traits enfantins, puis s’écarta sans un mot. La petite ne ressemblait à personne d’autre qu’à moi. De toute évidence, cette constatation le déçut. Il n’était pas plus avancé qu’auparavant… et il me connaissait assez pour savoir que je ne parlerais jamais.
    Il préféra alors s’en tenir aux banalités d’usage en m’interrogeant d’un air maussade sur ma santé et en excusant sa sœur qu’une rage de dents retenait au logis. Ma mère et mon amie alimentèrent seules la conversation. Jean et moi n’avions plus grand-chose à nous dire. En se retirant, il m’annonça cependant que je pouvais revenir à Pray.
    — Plus tard, dis-je sans conviction. Plus tard… Nous nous reverrons bientôt pour le baptême.
    Je savais qu’en dépit de sa mauvaise humeur, il tiendrait à assister à une cérémonie où son absence n’aurait pas manqué d’être remarquée et commentée par tout notre entourage.
    Ce fut une fête simple et familiale à laquelle je ne participai que de loin. En attendant mes relevailles, je ne pouvais en effet ni sortir de la maison ni me rendre à l’église.
    Avant de partir pour le bourg, Marie m’apporta Cassandrette afin de me la faire admirer dans sa robe de dentelle qui rivalisait de blancheur avec les pruniers et les cerisiers en fleur du verger. Mon amie portait sa filleule avec un plaisir si manifeste que mon amitié s’en trouva encore renforcée.
    Quant à ma mère, toujours aussi peu prodigue en manifestations, elle arborait un air satisfait qui, de sa part, valait tous les témoignages.
    Elles demeurèrent toutes deux quelque temps auprès de moi, puis repartirent pour Blois à peu de jours de distance.
    Je me retrouvai seule avec mon trésor, là où était mon cœur…
    Notre vie commune commençait.
    Je n’y aurais puisé que des joies si, par ailleurs, je n’avais pas souffert de plus en plus de la tournure prise par la carrière poétique de Ronsard. De ce côté, hélas, j’allais de déception en amertume.
    En avril, alors que nous baptisions ma petite Cassandre, parut un certain Livret de Folastries qui fit scandale. C’était un recueil de pièces légères, si licencieuses que la société parisienne, pourtant d’ordinaire fort indulgente à l’égard de ce qui était grivois, s’en offusqua. Imitant Catulle, l’auteur s’y livrait à des descriptions obscènes que couronnaient à la fin du volume deux sonnets scabreux, véritables blasons des sexes, où aucun détail déshonnête n’était épargné. L’œuvre était anonyme, mais personne ne s’y trompa. Le ton, le style, la manière valaient une signature. Tout désignait Ronsard qui, d’ailleurs, ne s’en disculpa en aucune façon.
    Pour moi, ce fut l’abomination. Notre histoire d’amour s’y trouvait étalée avec une impudeur, une provocation, qui me confondirent.
    Pierre s’y exprimait clairement :
     
    J’ai vécu deux mois, ou trois,
    Mieux fortuné que les Rois
    De la plus fertile Asie,
    Quand ma main tenait saisie
    Celle, qui tient dans ses yeux
    Je ne sais quoi, qui vaut mieux
    Que les perles Indiennes
    Ou les Masses Midiennes.
     
    Mais depuis que deux Guerriers,
    Deux soldats aventuriers,
    Par une trêve mauvaise,
    Sont venus

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