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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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s’était-il passé dans ce cœur que j’imaginais bien connaître ? Pourquoi avait-il, lui que je croyais fidèle, agi comme un renégat, un séducteur de bas étage, un goujat ?
    Je ne lui écrivis pas. À quoi bon ? Qu’aurais-je pu lui dire sinon lui crier mon indignation et mon dégoût ?
    Dépouillée de tous mes rêves, je vivais la mort de mon amour comme celle d’un autre moi-même et mon deuil était double.
    Devinant mon tourment, Marie ne tarda pas à accourir. Elle délaissa mari et enfants, qui, affirmait-elle, avaient moins besoin d’elle que moi, s’installa à mon chevet comme à celui d’un mourant. Ainsi qu’une sœur, elle entreprit de m’arracher à la consternation qui me rongeait.
    — Ronsard s’est laissé contaminer par les exemples qui lui sont donnés à la Cour, disait-elle doucement tout en m’aidant à broder un drap pour Cassandrette. Ne savez-vous pas combien, de nos jours, les jeunes seigneurs, désireux d’imiter les mœurs italiennes, se montrent cyniques, vantards, débauchés ? Leur immoralité aura déteint sur votre amant. Grisé par ses succès, par l’accueil des courtisans qu’il avait si longtemps espéré en vain, il aura tout bonnement perdu la tête. En devenant du jour au lendemain un homme célèbre, le petit poète vendômois que vous connaissiez, que vous aimiez, a cru préférable d’abandonner sa modeste dépouille pour s’envoler, brillant comme un papillon, vers une apothéose dont l’éclat lui a fait oublier toute retenue.
    — De là à publier sur moi de telles révélations !
    — Je ne l’excuse pas, Cassandre, je cherche à comprendre, voilà tout.
    C’est Marie, c’est son infatigable dévouement, qui m’ont sauvée de la honte et de l’anéantissement. Je ne l’oublierai jamais. Durant ce fatal été, elle est restée près de moi. Elle m’a appris à dominer ma mortification, à faire fi des racontars qui me diffamaient, à pardonner les folies irresponsables d’un homme qui n’avait sans doute péché que par excès de joie, à m’en remettre à Celui qui efface les larmes des humiliés…
    — Songez, mon amie, disait-elle, que, presque en même temps, Ronsard a triomphé de vous qui le faisiez languir depuis des années et de ses rivaux qu’il a soudain dépassés de cent coudées ! Il y a de quoi brouiller la cervelle de n’importe qui ! Plus j’y pense, plus je suis certaine qu’il a agi avec ingénuité, dans la plus parfaite bonne conscience. Son bonheur débordait. Il l’a répandu à flots dans son œuvre. En définitive, vous êtes victime de l’exaltation dont votre amant vous était redevable. Sous la pression d’un pareil enivrement, il a explosé comme un feu d’artifice, sans songer un instant que les débris de cette explosion retomberaient sur vous ainsi que des pierres et vous écraseraient.
    Nous nous promenions au bras l’une de l’autre à travers mon jardin que les chaleurs de la canicule avaient éprouvé. Avec soin et précaution, nous vidions l’abcès qui me minait.
    — Sans doute Ronsard n’avait-il non plus envisagé en aucune façon l’immense retentissement, si nouveau pour lui, de ses derniers ouvrages, m’expliquait Marie devenue par bonté d’âme l’avocate de Pierre. L’accueil réservé auquel il était accoutumé auparavant n’aurait nullement entraîné de telles conséquences. Quand il composait ses sonnets, il suivait, selon son habitude, ses impulsions du moment et ne pouvait prévoir le sort qui serait réservé plus tard à ce qui sortait ainsi en bouillonnant de son cœur et de son esprit échauffés.
    J’émergeais lentement du gouffre de boue où j’avais craint de m’enliser.
    Lorsque Marie s’en retourna à Blois, j’étais encore meurtrie, mais les effets de la commotion que je venais de subir commençaient à s’estomper.
    Mes parents, qui étaient demeurés déplorablement discrets au plus fort de la tourmente, se manifestèrent enfin. Leur réserve ne me surprit pas mais me porta à me replier davantage sur ce qui était à présent mon univers : ma petite Cassandre et Courtiras.
    Plus que jamais, je m’absorbai dans les soins et l’amour prodigués à ma fille. Son éveil à l’existence m’aidait à reprendre goût à la vie. Un à un ses sourires éclairèrent mon horizon.
    J’avais cependant une nouvelle épreuve à subir.
    Au printemps de 1554, soit deux ans après en être parti, Ronsard revint en Vendômois.
    Apparemment à

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