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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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mille lieues d’imaginer les tourments infligés, il eut le front de se présenter presque aussitôt chez moi. Nimbé de gloire, paré de la faveur de la Cour, il devait se croire irrésistible.
    Ce me fut un déchirement que de retrouver, après tout le mal qu’il m’avait fait, cet homme dont j’avais si souvent évoqué jadis le retour comme jour d’allégresse et de recommencement.
    Je le reçus pourtant avec une froideur simulée qui me coûta plus que je ne saurais le dire. Mais je ne lui adressai aucun reproche. À quoi bon ? Tout n’était-il pas saccagé ?
    Je me contentai de témoigner à Pierre une feinte indifférence plus significative qu’un chapelet de griefs. Abasourdi, il voulut m’embrasser. Je le repoussai. C’était fini.
    Notre cœur est étrange. Malgré le supplice enduré par sa faute, malgré nos amours profanées et salies, malgré les justes récriminations que j’aurais été en droit de lui adresser, revoir Pierre dans de telles conditions me tortura. Dès qu’il m’eut quittée, désemparé et sans avoir compris les raisons de mon attitude envers lui, je décidai de ne plus m’exposer aux affres d’une seconde rencontre. C’était au-dessus de mes forces !
    Je quittai le lendemain Courtiras avec ma fille pour me rendre à Pray d’où mon mari m’avait fait savoir quelque temps auparavant qu’il serait souhaitable aux yeux du monde et donc aux siens, que je vinsse de nouveau habiter en sa compagnie.
    De ce jour, ma vie ne serait plus guidée que par les rigoureux jalons du devoir.
    En dépit de ses cris, de ses appels, de son repentir, en dépit des innombrables corrections, suppressions, remaniements apportés par la suite à son œuvre afin d’en supprimer ce qui pouvait m’y désigner ou trahir mon identité, je me refusai à renouer avec Pierre des relations dont je redoutais l’emprise sur moi et les répercussions sur Cassandrette.
    Pendant douze longues années, je me consacrai à ma fille et demeurai inflexible à l’égard de celui que j’avais tant aimé avant que le scandale ne vînt, par sa faute, m’écraser sous son poids de cauchemar.

INTERMÈDE
    29 décembre 1585
     
     
     
     
    Dites maîtresse, é, que vous ai-je fait ?
    Et, pourquoi las ! m’êtes-vous si cruelle ?
     
    Continuation des Amours, 1555.

1
    — Nous arrivons à Pray, ce me semble, dame, dit soudain Guillemine en profitant d’un moment de silence.
    J’émerge avec difficulté d’un passé si cher et si douloureux que sa seule évocation suffit à me bouleverser de nouveau.
    Pray ! J’écarte les rideaux de serge verte et aperçois en effet, par-delà les arbres noirs de décembre noyés dans la brume, les tours du château. M’y voici donc encore une fois revenue !
    Ce domaine que je n’ai jamais beaucoup aimé mais où je me suis cependant réfugiée après ma rupture avec Ronsard, ce fief orgueilleux où je me sentais si peu chez moi, va m’accueillir à un autre moment crucial de ma vie !
    Depuis que je l’ai laissé à ma fille et à son époux, j’y retourne, il est vrai, avec moins de déplaisir. Les séjours que j’y fais sont illuminés par la tendresse si active qui me relie à Cassandrette. Près d’elle, je me contenterais d’un taudis. Le noble castel de Pray se trouve bénéficier de cet éclairage maternel et, depuis peu, grand-maternel…
    — Pourvu que notre petit François aille mieux…
    L’angoisse m’assaille de plus belle. Si je suis parvenue, grâce aux mots dressés entre elle et moi comme des remparts, à tenir éloignée la peur qui m’étreint, elle ne s’est pas dissoute pour autant. La voici qui me point, tout aussi virulente.
    — Nous aurons toujours échappé aux loups et aux huguenots, soupire avec soulagement Guillemine en rangeant dans un étui de cuir noir qu’elle porte suspendu à sa ceinture le chapelet dont elle ne se sépare jamais. Dieu soit loué !
    Elle redoutait donc vraiment ce genre de rencontre alors que je laissais couler hors de moi, comme l’eau violente d’un torrent, ce flot de souvenirs dont il fallait que je me délivre ? Durant un trajet dont la durée s’est comme diluée dans mon récit, ma servante pas plus que moi ne semble avoir songé à entamer les provisions de bouche que nous avions emportées. L’heure de notre repas de la mi-journée est certainement passée depuis un bon moment… Invisible derrière les nuées bruineuses, le soleil ne peut nous servir de repère, mais notre

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