Les amours blessées
place toute particulière dans ma vie.
Demeurée veuve en pleine maturité, elle a choisi de se remarier deux ans plus tard au gouverneur du château de Blois. Son second mari est un personnage. Ayant été dans sa jeunesse valet de chambre ordinaire de François I er , Claude de Bombelles s’est trouvé mêlé aux aventures italiennes et galantes du feu Roi. Il s’est lui-même marié deux fois avant d’épouser Marie et possède une nombreuse descendance légitime et illégitime. J’ai toujours pensé qu’il ressemblait à Henri VIII, le roi d’Angleterre d’illustre mémoire. Comme ce souverain, il évoque pour moi l’ogre des fables enfantines. Grand, gros, pansu, le verbe impérieux, le rire tonitruant, il peut être féroce ou charmeur selon les circonstances. On cite à l’envi ses mots à l’emporte-pièce. Capable de folles colères, il est aussi connu pour sa générosité.
Il fallait une femme de la trempe de Marie pour se faire respecter d’une semblable force de la nature. Ses deux premières épouses se sont évaporées en leur jeune âge, usées, élimées, anéanties, par la vitalité sans merci de leur seigneur. Marie, elle, sourit. Son œil brille. En dépit des ans, elle ne renonce pas.
— Mon second Claude a mauvaise tête et bon cœur, dit-elle avec tranquillité. C’est un mélange bien connu. Je n’ai pas peur de lui. Il le sait et ne m’en estime que davantage. Nous nous entendons au mieux !
La charge de Claude de Bombelles amène le couple à vivre somptueusement à Blois. Cependant, Marie retourne de temps à autre à la Bonaventure où l’attendent ses souvenirs. Elle doit y résider ces jours-ci car elle y fête souvent la Noël.
Ma fille se penche davantage vers moi.
— Je ne serais pas étonnée que Guillaume se soit rendu auprès de sa mère, me confie-t-elle. À cheval, il n’en a pas pour bien longtemps. Il a toujours la plus grande confiance en elle… comme moi en vous !
D’un battement de cils, je lui témoigne ma reconnaissance.
Le temps se remet à couler. L’enfant gémit plus faiblement.
Autour de la chambre, tout semble suspendu à ce fragile indice, à ce souffle de vie. Les allées et venues des domestiques, feutrées, sont beaucoup moins bruyantes qu’à l’ordinaire. Seul, le crépitement du feu qu’un valet entretient en y rajoutant régulièrement des bûches meuble le silence.
La courte journée de décembre a depuis longtemps fait place à la nuit lorsque le bruit d’un attelage nous parvient de la cour.
Nous ne nous étions pas trompées. Guillaume est allé chercher sa mère à la Bonaventure.
Mais elle n’arrive pas seule. Elle amène avec elle la guérisseuse dont elle nous a souvent parlé.
Elles entrent toutes deux pendant que mon gendre s’occupe de faire remiser le coche et panser, abreuver, nourrir les chevaux des voyageuses.
Nous les accueillons avec empressement. Dès qu’elles en ont franchi le seuil, il me semble que quelque chose change dans la pièce. On dirait qu’elle contient soudain davantage de lumière…
— Nos médecins ne valent rien pour des cas comme celui-ci, assure Marie après nous avoir embrassées, ma fille et moi. Quand il s’agit de brûlures, ce sont des ânes ! Là où Cartereau a échoué, Madeleine réussira !
Penchées à leur tour sur le berceau, les deux arrivantes considèrent un moment notre petit François qui continue à gémir et à brûler de fièvre.
— Il est grand temps d’intervenir, constate la guérisseuse.
C’est une femme menue, au visage encore jeune et lisse, aux cheveux noirs hormis une mèche blanche comme neige qui part du front pour se perdre sous la coiffe de lin presque monacale. Elle est vêtue à la paysanne d’une jupe de drap froncée à la taille, d’une veste à basques courtes, qu’on découvre quand elle retire le gaban 5 de pluie à longs poils dans lequel elle était drapée en arrivant.
— Je dois rester seule avec l’enfant, dit-elle. Que tout le monde sorte.
— Même moi ? s’inquiète Cassandrette.
La femme jauge ma fille du regard.
— Restez si vous y tenez, concède-t-elle. Mais tenez-vous à distance et ne bougez pas.
Tout en parlant, elle extrait d’un paquet qu’elle avait sous le bras une nappe blanche brodée qu’elle déploie sur un coffre de chêne sculpté qui se trouve tout proche du berceau.
Marie, la nourrice, la berceuse et moi quittons la chambre. Nous retrouvons mon gendre dans la salle. Debout
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