Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
Vom Netzwerk:
qu’ils viennent de vivre ensemble, je crois qu’ils ne s’en sont pas repentis un seul instant. Loin de leur peser, les quinze ans qui les séparent paraissent avoir établi entre eux des relations d’attention et d’égards mutuels tout à fait satisfaisantes.
    La naissance de François, qu’on n’espérait plus, est venue parfaire une alliance à l’accomplissement de laquelle il ne manquait qu’un tel gage d’espérance.
    Fasse le Ciel que ce témoignage de la bonté divine ne disparaisse pas prématurément, laissant derrière lui un vide si cruel que je ne puis l’envisager sans épouvante…
    — Venez, ma mère, venez prendre un peu de nourriture. Il n’est pas bon de rester trop longtemps à jeun par une température comme celle-ci, dit Cassandrette avec un lamentable sourire.
    Je frissonne. De froid ou de peine ?
    Dans la salle, on a dressé une table devant la cheminée de pierre monumentale. Sous son vaste manteau, deux bancs, installés près du foyer pour se mieux chauffer, tiennent à l’aise. J’ai rarement vu une hotte aussi surchargée de blasons sculptés que celle-là ! N’ayant jamais aimé l’ostentation, j’ai toujours été agacée par l’étalage orgueilleux que faisait ainsi ma belle-famille de toute sa noble parenté. Du temps que je vivais à Pray, je ne regardais jamais une telle profusion d’écussons armoriés sans me sentir partagée entre la dérision et le blâme.
    Aujourd’hui, je n’ai plus le cœur à railler.
    — Je n’ai guère faim, dis-je en m’asseyant devant la table servie.
    — Forcez-vous, ma très chère mère, je vous en prie.
    Du bout des lèvres, je goûte un potage aux œufs, relevé de safran, je mange quelques bouchées d’une fricassée de fèves servie avec des pigeons rôtis et je termine par une ou deux cuillerées de riz cuit au lait d’amande.
    Ma fille surveille mon repas d’un regard où les larmes affluent sans cesse.
    — Retournons auprès de François, dis-je dès que j’en ai terminé. L’huile de millepertuis a peut-être commencé à le soulager.
    Hélas, il n’en est rien. Mon petit-fils est toujours fiévreux et continue de se plaindre comme un chevreau qu’on saigne.
    Je prends place à côté du berceau. Guillaume a quitté son poste de veille.
    — Il n’y tenait plus, me confie Cassandrette. Il est parti chevaucher pour tenter de calmer son angoisse.
    Dans le coin le plus obscur de la chambre qu’on est obligé d’éclairer aux chandelles en plein jour tant il fait sombre, la nourrice se tient assise, les mains abandonnées sur les genoux. La tête inclinée sur la poitrine, son bonnet de lingerie à bavolet pendant sur la nuque, elle demeure immobile, telle une image de la culpabilité.
    Je vais vers elle et lui dis quelques mots, mais elle ne me répond pas. Ses épaules s’affaissent encore davantage. Je reste un moment près d’elle, impuissante à la consoler, avant de regagner ma place.
    Ma fille attire un siège près du mien et se blottit contre moi. Je lui prends la main. Quand elle était enfant, si une petite maladie ou un mauvais rêve la tenait éveillée, je m’installais ainsi à son chevet. Elle me tendait la main. Je m’en emparais et, pendant des heures, je gardais ses doigts serrés entre les miens tout en lui racontant des histoires ou en la regardant dormir. C’était un échange indicible où santé et tendresse passaient de l’une à l’autre au rythme de nos pulsations mêlées et confondues…
    Nous demeurons longtemps silencieuses, sans bouger, soudées une nouvelle fois par notre étreinte.
    Les heures passent…
    L’état de François ne s’améliore pas.
    — Savez-vous si le médecin compte revenir ? finis-je par demander.
    — Il a dit qu’il repasserait peut-être ce soir, si le temps le lui permettait.
    — Je ne souhaite pas son retour. Il va encore saigner votre fils et l’affaiblir un peu plus.
    — Que faire, Maman, que faire ?
    — Il me semble que j’aurais davantage confiance en une guérisseuse qu’en un quelconque Cartereau pour une chose comme celle-là.
    — En connaissez-vous ?
    — Moi, non. Mais je sais que Marie a souvent été soignée par une femme dont elle vante les mérites.
    Depuis qu’elle se trouve être la belle-mère de Cassandrette, Marie n’a jamais cessé de me témoigner sa satisfaction d’une union qui nous rapprochait encore toutes deux. Devenue ma commère en plus de mon amie, elle occupe à ce double titre une

Weitere Kostenlose Bücher