Les amours blessées
devant le feu il contemple les flammes.
— Comment va-t-elle procéder ? dis-je en prenant le bras de mon amie que j’entraîne sur un des bancs posés sous le manteau monumental de la cheminée. Savez-vous ce qu’elle va faire ?
— Je l’ai vue opérer une fois sur un de nos garçons d’écurie, me répond Marie en prenant place à mes côtés. Il s’était laissé tomber de l’huile bouillante sur le pied en préparant un liniment pour un cheval malade. Elle l’a fait étendre sur la nappe d’autel que vous avez vue. C’est une nappe sur laquelle la sainte messe a été dite. Elle a ensuite multiplié des signes de croix sur la plaie profonde et creuse qui n’était pas belle à voir, je vous prie de le croire ! Tout en signant avec une vélocité prodigieuse les chairs à vif, elle récitait dans une langue incompréhensible mêlée d’un peu de latin, une sorte de litanie dont je n’ai pas retenu un seul mot.
— Quels furent les résultats ? demande Guillaume.
— Excellents. Dès le lendemain les traces de brûlure avaient disparu.
— Dieu veuille qu’il en soit de même cette fois-ci, dis-je en soupirant.
— Pourquoi en serait-il autrement, femme de peu de foi ? s’enquiert Marie. N’avez-vous pas confiance ?
Je serre les lèvres.
— Ces pratiques relèvent plus de la sorcellerie que de la religion, dis-je prudemment.
Marie sourit. Il se dégage d’elle une assurance qui m’ébranle malgré mes réserves.
— Il n’y a pas sorcellerie là où le démon n’est pas invoqué, reprend-elle tranquillement. Je puis vous assurer que Madeleine est bonne catholique. Elle met seulement au service de son prochain un don qui lui a été fait par le Seigneur. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal là-dedans !
Elle pose une main apaisante sur mon bras.
— Notre petit-fils guérira, Cassandre. N’en doutez plus. Il guérira !
Je retrouve dans son regard ce reflet d’étoile qui y luit quand sa ferveur culmine en des hauteurs où la mienne n’atteint jamais. Je reprends espoir.
Un moment plus tard, ma fille, accompagnée de la guérisseuse, entre dans la salle.
— François dort à présent, annonce-t-elle en s’élançant vers son mari. Il est tout à fait calme et ne se plaint plus.
Sa jeunesse est de nouveau sensible.
— Je crois qu’il est sauvé, ajoute-t-elle, et, cette fois, elle sourit.
Guillaume la serre contre lui et l’embrasse très simplement devant nous.
— Soyez bénie, dit-il en se retournant vers la guérisseuse. Si notre enfant survit grâce à vous, nous vous en aurons une gratitude éternelle !
La femme referme avec soin le paquet contenant la nappe d’autel.
— Je ne suis qu’un instrument, dit-elle. Un petit outil dans une main toute-puissante.
— Vous coucherez ici, Madeleine, reprend ma fille. On vous reconduira chez vous demain matin. Auparavant, nous allons tous souper ensemble.
— Quand le docteur Cartereau viendra, il n’aura plus qu’à s’en retourner, remarque Marie d’un air amusé.
— Je vais envoyer un valet le prévenir pour qu’il ne se dérange pas en vain par un froid pareil, déclare mon gendre.
— Cette nuit, il serait bon de ne pas laisser l’enfant aux soins de sa nourrice, dit alors la guérisseuse. Cette femme a, elle aussi, besoin de sommeil. Or, il faudra veiller le petit. S’il a soif donnez-lui à boire du lait ou de l’eau.
— Son berceau est tout près de notre lit, avance Cassandrette.
— Ce n’est pas suffisant. Votre mari et vous êtes épuisés. Quoi que vous en ayez, vous vous endormirez. Je préférerais que deux personnes capables de rester éveillées se relaient auprès de votre fils.
Il se dégage de cette petite créature qui ressemble à une pie avec ses cheveux noirs et blancs, une autorité surprenante.
— La berceuse est également à bout de forces, dit alors Marie. Je propose que Cassandre et moi assurions la garde à tour de rôle.
— Bien sûr, Marie, bien sûr. C’est là une excellente idée. Nous ferons porter le berceau dans notre chambre commune et nous veillerons François comme deux bonnes fées !
Ma fille et Guillaume protestent pour la forme, mais il est clair que les heures qu’ils viennent de vivre les ont exténués. Nous les faisons taire sans peine.
C’est ainsi que je me retrouve, au cœur de la nuit, assise devant l’âtre auprès du berceau où repose enfin d’un sommeil apaisé l’unique héritier de la famille de
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