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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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les brûlures. Si vous le voulez bien, nous pourrions en enduire votre fils sans plus attendre.
    Cassandrette approuve et envoie un domestique quérir auprès de Guillemine le sac en maroquin où je range mes remèdes.
    Pendant ce temps, la nourrice qui se tenait assise, l’air accablé, près de la haute cheminée où flambe un feu de bûches, se lève et prend son nourrisson entre ses mains attentives et douces. Deux rides profondes marquent au front son large visage de saindoux que le sentiment de sa faute a rendu tragique sous les larmes qui le mouillent. En dépit de l’attention qu’elle apporte à ses gestes, François se met à crier d’une voix cassée, comme brisée par la douleur.
    Avec le plus grand soin, la nourrice dépose son léger fardeau sur le lit à baldaquin. Un molleton y a été étendu pour le recevoir. En procédant par étapes, Mathurine déroule le drap qui, en dépit de la finesse de sa toile, colle par endroits à l’épiderme échaudé.
    Dieu ! Le corps minuscule, âgé de trois mois à peine, semble écorché vif tant il est rouge ! Des cloques le recouvrent d’où s’échappe mêlée à la pulpe de citrouille écrasée, une sirosité visqueuse.
    Il ne s’agit pas de me laisser aller à l’horreur qui me tord les entrailles. J’ouvre mon sac et en sors une fiole. Sur la peau brûlée, je verse goutte à goutte l’huile de millepertuis, cramoisie et onctueuse. À l’aide d’une fine compresse faite de charpie, j’effleure avec mille précautions les chairs souffrantes. Le dos et les jambes me semblent plus atteints que le ventre et les cuisses.
    François pleure.
    À part moi, je maudis la maladresse de Mathurine qui a laissé choir dans un cuveau où on venait de verser l’eau bouillante d’une lessive l’enfantelet confié à sa garde.
    Comment cette solide paysanne, habituée à cette fonction, a-t-elle pu commettre pareille maladresse ?
    Tout en me posant cette question, je lève les yeux vers la nourrice. Le regard qui croise alors le mien est si contrit, si malheureux, si désespéré, que je comprends pourquoi Guillaume et Cassandrette l’ont conservée auprès d’eux. La pitié remplace en moi la réprobation.
    Je finis d’oindre mon petit-fils puis on le recouche.
    — Avez-vous dîné ? me demande mon gendre.
    Il s’est exprimé à mi-voix. Seul le très fort sentiment du devoir qui l’anime toujours a pu l’arracher à la morne contemplation de son premier-né supplicié.
    J’aime bien Guillaume. Cet homme mûr, fils de ma meilleure amie, a épousé ma fille sur le tard. Avec un tendre amour, il lui a apporté une sécurité et une protection dont je suis extrêmement heureuse qu’elle bénéficie. Grâce à lui, je partirai tranquille quand l’heure en sera venue. Cassandrette ne se retrouvera pas seule et sans affection après ma mort.
    Fin, discret, ennemi des démonstrations et de toute exubérance, ce mari providentiel ne ressemble en rien au mien. Responsable, sûr, il n’attache pas grand prix à l’opinion d’autrui et mène sa barque avec sagesse. Physiquement et moralement, il tient de son père, Claude de Musset, mort prématurément voici déjà longtemps. De sa mère, ma chère Marie, il a peu de chose sinon les yeux marron veloutés et loyaux. Il se trouve des gens pour lui reprocher sa réserve, son peu de goût pour le risque, sa prudence. Ceux qui le connaissent bien, ils sont peu nombreux, apprécient la liberté de son jugement ainsi que la fidélité de ses amitiés.
    Voici quelques années, il a reçu du Roi une pension de quatre cents livres en récompense des services rendus à Sa Majesté tant en France qu’à l’étranger. Ses qualités de diplomate avaient en effet été fort estimées quand l’ambassadeur d’Espagne négociait la paix avec le roi de Navarre et le prince de Condé. Auparavant, il servait dans l’armée du comte de Maulévrier.
    C’est un homme de cœur et non un homme de Cour. « Il ne se donne pas, il se prête seulement », murmure-t-on autour de lui. C’est sans doute vrai dans beaucoup de cas, mais je sais, moi, qu’il s’est donné sans retour à ma fille ! Elle qui répugnait à se marier, parce qu’elle m’avait vue malheureuse et aussi parce que notre entente était complète, a fini par accepter ce parti alors qu’elle allait sur ses vingt-sept ans. Ils se connaissaient tous deux depuis l’enfance, mais n’avaient encore jamais envisagé de s’unir. Durant les cinq années

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