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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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Musset.
    À mes pieds, sur un coussin, Turquet dort, lui aussi, et ronfle de temps à autre.
    Après un souper beaucoup moins pénible que le dîner, nous nous sommes retirés chacun chez nous pour que les parents éprouvés réparent leurs forces.
    De Marie et de moi, nous avons tiré au sort qui commencerait la veille et Marie est allée se coucher. Je tisonne les bûches à demi consumées. Dans un coffre, une pile de bois est prête à être utilisée.
    De toute mon âme, j’espère que la guérisseuse a réussi son entreprise et que le lendemain ne nous réservera pas une horrible déconvenue… Je me lève et me penche une fois de plus sur la couche oscillante. L’enfant semble en paix.
    Je reviens m’asseoir devant le foyer où frémissent des cendres mauves. Un bruit m’alerte. Turquet lève la tête, grogne, reprend son somme. Je me retourne. Marie est derrière moi. Enveloppée dans un manteau de nuit en velours grenat, elle prend place de l’autre côté de la cheminée, face à mon haut fauteuil.
    Couvrant ses cheveux presque tous blancs à présent, un bonnet de lingerie encadre son visage alourdi, accusant d’un coup son âge. Elle approche de soixante-dix ans et, en dépit de sa vitalité, ne peut échapper aux dégradations du temps.
    — Je ne trouve pas le sommeil, constate-t-elle en s’asseyant avec pesanteur. Tant mieux. Nous pourrons causer.
    Je la dévisage avec tendresse. Je sais de quoi, de qui, elle entend me parler cette nuit. Je connais la vigilance de ce cœur-là ! Même vieillie, fatiguée, déformée par les grossesses et les douleurs, elle conserve un reflet de ce rayonnement intime, de cette vivacité de l’âme qui me l’ont depuis si longtemps rendue chère.
    — Juste avant l’arrivée de Guillaume, j’ai appris la mort de Ronsard, reprend-elle en m’observant avec la plus affectueuse attention. Bien entendu, vous en avez été informée.
    — Oui, dis-je. Sur la demande de Pierre, son ami Jean Galland est venu m’avertir dès le lendemain matin.
    Mon amie hoche la tête.
    — On disait autrefois que l’amour c’était du miel sur des ronces. Je ne sais si son nom y aura été pour quelque chose, Cassandre, mais, pour vous, Ronsard aura été miel et ronces à la fois.
    — Bonheur et tourment. Je n’aurai connu l’amour, ses délices et ses peines, qu’à travers lui… Il m’a tout enseigné. Bonheur et tourment…
    Ainsi que Marie, j’ai parlé à mi-voix pour ne pas troubler le repos de François.
    — S’il a été fort souvent infidèle, vous ne l’avez pas non plus épargné, reprend Marie. Je me souviens des longues années de disgrâce que vous lui avez imposées après la publication de ses premiers sonnets.
    Je fixe mes mains croisées sur mes genoux. Seront-elles bientôt marquées de ces tristes taches brunes qui parsèment celles de mon amie ? Sans doute…
    — Pendant douze ans, je me suis gardée de lui, il est vrai. Autant que pour moi, c’était pour ma fille que j’agissais. À tout prix, je voulais la tenir éloignée des racontars qui empoisonnaient alors l’air autour de nous. Souvenez-vous de ces temps d’infamie ! Vous savez combien la célébrité avait délesté Pierre de tout scrupule, comme il s’était laissé aller à l’ivresse des mots et de leur contenu. Il me fallait élever Cassandrette loin de tout ce bruit qui offensait mon honneur, lui assurer une jeunesse paisible, consolider son avenir en protégeant notre présent. En un mot, je désirais sauvegarder sa réputation. La réputation d’une jeune fille n’est-elle pas son bien le plus précieux ?
    — Si fait… J’ai toujours admiré la manière dont vous vous étiez sacrifiée pour cette enfant.
    — Je l’ai aimée, je l’aime toujours plus que tout !
    — Plus que Pierre de Ronsard ?
    — On juge l’arbre aux fruits…
    Un silence.
    Ma pensée reprend le chemin du souvenir qu’elle a si longtemps hanté durant la matinée.
    — Les années de séparation, que les événements issus des malheureuses proclamations de Pierre m’ont obligée à laisser s’écouler sans que nous nous revoyions, n’ont pas été désertiques pour lui, dis-je au bout d’un moment. Il a su les meubler de gloire et d’aventures. Même si ces dernières n’ont pas toujours été ce qu’il en a semblé…
    Marie lève les sourcils.
    — Jean Galland m’a appris beaucoup de choses, soupiré-je pour répondre à son interrogation muette. Beaucoup. Je croyais

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