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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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connaître avec précision le cours d’une vie qui m’a été si proche. Je me trompais… Mais tout ceci est fini à présent et je n’ai point envie de raviver d’anciennes blessures…
    Je renverse la tête en arrière contre le dossier de mon siège et ferme les yeux.
    Mon amie respecte mon désir de paix. Elle devine ma lassitude et la comprend. Ce soir, je ne souhaite pas me confesser à nouveau. Marie l’admet et se tait…
    Soudain, je sursaute. J’ai dû m’assoupir un moment.
    Allons ! Il me faut combattre l’envie de dormir. Ne sommes-nous pas ici pour veiller ?
    Je jette un coup d’œil vers ma compagne. Un ronflement discret me renseigne. Fatiguée par les émotions de la journée et par le poids des ans, Marie, elle aussi, a déserté son poste. Elle s’est tassée dans son fauteuil. Abandonnée contre le cuir de Cordoue, sa tête s’est inclinée sur son épaule gauche. Sa bouche entrouverte, aux lèvres épaisses, ressemble ô dérision ! à celle d’une carpe.
    Dieu ! Quelle tristesse de voir ainsi l’âge nous déformer, nous abîmer, nous flétrir !
    De cette femme qui ne fut jamais, il est vrai, d’une beauté éclatante, mais dont la fraîcheur et la vitalité suffisaient à faire une créature appétissante, pleine de charme et de gaieté, la vieillesse a réussi à ruiner les attraits. Elle l’a transformée en vieillarde. Il ne demeure devant moi qu’une forme molle, avachie, dont le double menton s’écrase sur le col de velours d’un vêtement de nuit…
    Voici donc ce qui m’attend ! Quinze années de moins que mon amie me laissent encore l’illusion d’un certain répit. Pour combien de temps ? Je songe aux vers écrits pour une autre mais qui, demain, seront pour moi la plaie et le couteau :
     
    Vous sere z au foyer une vieille accroupie,
    Regrettant mon amour et votre fier dédain…
     
    Je me rapproche dangereusement du moment que Pierre redoutait tant pour lui comme pour les femmes qu’il a aimées, contre lequel il n’a cessé de les mettre en garde… Décrépitude, abandon, esseulement, termes inexorables de nos existences, fatalités dont il s’est voulu l’exorciseur par une mise en garde incessante, par le rappel toujours repris de la brièveté de toute chose. N’était-ce pas déjà cette menace dont il m’entretenait alors que je n’étais qu’une enfant ?
    À mon tour, je parviens aux marches de la vieillesse. Les ronflements de Marie résonnent à mes oreilles comme le ferait un glas. C’en est fini de ma vie de femme. Je ne suis plus qu’une créature mûrissante qui se souvient d’avoir été, autrefois, une jolie fille.
    Pierre s’en est allé, mes cheveux sont gris, les rides commencent à déshonorer mon visage dont la fermeté s’estompe, dont l’éclat s’éteint… ce visage qu’un homme, le plus grand poète de ce temps, a tant aimé, tant chanté !
    Je me redresse sur mon siège.
    Allons ! En mémoire de cet amour comme par souci de bien accomplir la garde qui m’a été confiée, je dois refuser tout attendrissement suspect. Je n’ai le droit de me laisser aller ni au sommeil ni au regret stérile de la jeunesse enfuie. Je dois garder les yeux ouverts et le cœur sans défaillance… cependant, il ne m’est pas défendu de me souvenir !

DEUXIÈME PARTIE
    Été 1554 – Fin de l’année 1585
     
     
     
     
    Je ne saurais aimer autre que vous,
    Non, Dame, non, je ne saurais le faire…
     
    Continuation des Amours, 1555.
     
     
    Or j’aime bien, je le confesse,
    Et plus j’irai vers la vieillesse
    Et plus constant j’aimerai mieux :
    Je n’oublierai, fussai-je en cendre
    La douce amour de ma Cassandre
    Qui loge mon cœur dans ses yeux.
     
    Les Meslanges (Chanson), 1555.

1
    Si quelqu’un venait de la part de Cassandre
    Ouvre-lui tôt la porte et ne le fais attendre.
    Continuation des Amours, 1555.
     
    Je me lève, vais me pencher sur le berceau où dort François. Sa respiration régulière m’encourage à espérer. Je reste un bon moment à observer le sommeil de mon petit-fils. Cette station est prière : « Sauvez-le ! Je Vous fais don de ce qui me reste à vivre. Faites-en ce que Vous voudrez ! »
    Lentement, je reviens à ma place. M’assieds de nouveau.
    Si l’enfant sort sain et sauf d’un accident qui aurait pu le tuer, je me consacrerai encore davantage à lui. Il donnera un sens à ma vie que la disparition de Pierre appauvrit si cruellement. Sans plus aucun partage, sa mère et

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