Les amours du Chico
effroyable
des supplices, je m’aperçois que s’il disait un mot, s’il
m’adressait un sourire, moins encore : un regard qui ne soit
pas indifférent, je poignarderais de mes mains ce grand inquisiteur
qui me guette et je mourrais avec lui, si je ne pouvais le
délivrer. Que faire ? Que faire ? »
Et longtemps elle resta ainsi désemparée, reculant pour la
première fois de sa vie, devant la décision à prendre.
Peu à peu son esprit s’apaisa, ses traits se durcirent – et
c’est ce qui fit dire à Pardaillan : « La tigresse
reparaît » – puis sa résolution étant irrévocablement prise,
ses traits retrouvèrent enfin ce calme souverain qui la faisait si
prestigieuse.
Elle recula de deux pas, comme pour marquer qu’elle
l’abandonnait à son sort, et d’une voix extrêmement douce, comme
lointaine et voilée, elle dit seulement :
– Adieu, Pardaillan !
Et ce fut encore un étonnement chez lui qui s’attendait à
d’autres paroles.
Mais il n’était pas hommes à se laisser démonter pour si
peu.
– Non pas adieu, railla-t-il, mais au revoir.
Elle secoua la tête négativement et, avec la même intonation de
douceur inexprimable, elle répéta :
– Adieu !
– Je vous entends, madame, mais, diantre ! on ne me
tue pas si aisément. Vous devez en savoir quelque chose. Vous avez
voulu me faire tuer je ne sais combien de fois, je ne les compte
plus, ce serait long et fastidieux, et cependant je suis encore
bien vivant et bien solide, quoique je sois en position plutôt
précaire, j’en conviens.
Avec obstination, elle fit doucement non, de la tête, et répéta
encore :
– Adieu ! Tu ne me verras plus.
Une idée affreuse traversa le cerveau de Pardaillan.
« Oh ! songea-t-il en frissonnant, elle a dit :
« Tu ne me verras plus. » Ne pouvant parvenir à me tuer,
l’abominable créature aurait-elle conçu l’infernal projet de me
faire aveugler ? Par l’enfer qui l’a vomie, ce serait trop
hideux ! »
De sa voix toujours dolente et comme lointaine, elle
continuait :
– Ou plutôt, je m’exprime mal, tu me verras peut-être,
Pardaillan, mais tu ne me reconnaîtras pas.
« Ouais ! pensa le chevalier. Que signifie cette
nouvelle énigme ? Je la verrai : donc j’ai des chances de
ne pas mourir et de ne pas être aveuglé, comme je l’ai craint un
instant. Bon ! Je suis moins mal loti que je ne pensais. Mais
je ne la reconnaîtrai pas. Que veut dire ce : « Tu ne me
reconnaîtras pas » ? Quelle menace se cache sous ces
paroles insignifiantes en apparence ? Bah ! je le verrai
bien. »
Et tout haut, avec son plus gracieux sourire :
– Il faudra donc que vous soyez bien méconnaissable !
Peut-être serez-vous devenue une femme comme toutes les femmes…
avec un peu de cœur et de bonté. S’il en est ainsi, je confesse
qu’en effet vous serez si bien changée qu’il se pourrait que je ne
vous reconnaisse pas.
Fausta le considéra une seconde, droit dans les yeux. Il soutint
le regard avec cette ingénuité narquoise qui lui était
particulière. Comprit-elle qu’elle n’aurait pas le dernier mot avec
lui ? Était-elle lasse du violent combat qui s’était livré
dans son esprit ? Toujours est-il qu’elle se contenta de faire
un signe de tête et revint se placer auprès de d’Espinosa, qui
avait assisté, muet et impassible, à cette scène.
– Conduisez le prisonnier au couvent San Pablo, ordonna le
grand inquisiteur.
– Au revoir, princesse ! cria Pardaillan, qu’on
entraînait.
Chapitre 13 LES AMOURS DU CHICO
Le couvent de San Pablo (disparu depuis longtemps), où
d’Espinosa avait donné l’ordre de conduire Pardaillan, était situé
si près de la place San Francisco qu’autant vaudrait dire qu’il
donnait sur cette place même.
En temps ordinaire, Pardaillan et son escorte eussent été pour
ainsi dire tout rendus. Il ne faut pas oublier qu’on se battait
toujours sur la place, et un homme froid et méthodique, comme
d’Espinosa, ne pouvait commettre l’imprudence de faire traverser
cette place à son prisonnier en pareil moment.
Pardaillan était encadré de deux compagnies d’arquebusiers. Non
pas que le chevalier, ligoté comme il était, inspirât des craintes
au grand inquisiteur. Mais précisément ces précautions, qui eussent
pu paraître ridicules en temps normal, devenaient nécessaires, si
l’on songe que le prisonnier et son escorte pouvaient avoir à
passer au milieu des
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