Les amours du Chico
entré
dans ma pensée d’imposer des privations à un homme tel que
vous.
– De grâce, monsieur, quittez tout souci à mon sujet. Vous
me voyez vraiment confus des soins et des prévenances dont vous
m’accablez.
S’il y avait une ironie dans ces paroles, elle était si bien
voilée que d’Espinosa ne la perçut pas.
– Je vois ce que c’est, dit-il d’un air paternel. Vous
manquez d’exercice. Oui. Évidemment, un homme d’action comme vous
s’accommode mal de ce régime sédentaire. Une promenade au grand air
vous fera du bien. Vous serait-il agréable de faire, avec moi, un
tour dans les jardins du couvent ?
– Cela me sera d’autant plus agréable, monsieur, que le
plaisir de la promenade se doublera de l’honneur de votre
compagnie.
– Venez donc, en ce cas.
De nouveau, d’Espinosa fit entendre un appel de son sifflet
d’argent. De nouveau les deux moines reparurent et se tinrent
immobiles.
– Monsieur le chevalier, dit d’Espinosa en écartant les
moines d’un geste, je passe devant vous pour vous montrer le
chemin.
– Faites, monsieur.
Et il passa devant les moines qui ne sourcillèrent pas.
Seulement, dès que Pardaillan et d’Espinosa se furent engagés dans
le couloir, les deux moines rejoignirent deux autres moines qui
étaient restés dehors et tous les quatre ils se mirent à suivre
silencieusement leur prisonnier, se maintenant toujours à quelques
pas derrière lui, s’arrêtant quand il s’arrêtait, reprenant leur
marche dès qu’il se remettait à marcher.
D’ailleurs de tous côtés, dans les embrasures, aux détours des
couloirs, sur les paliers, dans les cours, à l’ombre des grands
arbres du jardin, partout Pardaillan voyait surgir des frocs, par
deux, par trois et par quatre, qui allaient, venaient en
s’inclinant devant le grand inquisiteur, mais restaient constamment
à portée de sa voix.
En sorte que Pardaillan, qui avait accepté cette promenade avec
le vague espoir qu’une occasion inespérée se présenterait peut-être
de fausser compagnie à son obligeant guide, dut s’avouer à lui-même
que ce serait une insigne folie de tenter quoi que ce soit dans ces
conditions.
Et quand bien même il serait parvenu à se défaire du grand
inquisiteur, ce qui lui eût été relativement facile, malgré que
d’Espinosa parût faire plein de force et de vigueur, comment eût-il
pu forcer les innombrables portes, gardées par de véritables postes
de moines, qui semblaient fonctionner militairement, ces portes qui
se déverrouillaient pour leur livrer passage et se reverrouillaient
immédiatement après ?
Comment fût-il sorti de ce dédale de couloirs larges et clairs,
étroits et obscurs, sans cesse sillonnés en tous sens par des
groupes de religieux ? Comment enfin eût-il pu franchir les
hautes murailles qui ceinturaient cours et jardins de tous
côtés ? À moins d’être oiseau, il ne voyait pas.
Il estima que le mieux était de ne rien tenter pour le moment.
Mais tout en marchant posément à côté d’Espinosa, tout en
paraissant écouter avec une attention souriante les explications
qu’il lui donnait complaisamment sur les nombreuses et bizarres
affectations de ce couvent, ainsi que sur les occupations variées
des membres de la communauté, il se tenait sur ses gardes, prêt à
saisir la moindre occasion propice qui se présenterait.
Et à les voir passer d’un pas lent et désœuvré, à les voir
s’entretenir aussi paisiblement, presque affectueusement, on n’eût
jamais pu soupçonner que l’un de ces deux hommes était une victime
aux mains de l’autre qui s’apprêtait à le torturer et qui, en
attendant, par un raffinement de cruauté digne de ce Torquemada
dont il était un des successeurs, se délectait à jouer avec sa
victime impuissante comme le chat avec la souris, avant de lui
briser les reins d’un coup de dents.
Pardaillan se disait que d’Espinosa n’était pas homme à lui
faire faire une promenade dans les jardins, d’ailleurs admirables,
uniquement par humanité. Il pensait, non sans raison, que le grand
inquisiteur avait une idée bien arrêtée qu’il finirait par
exprimer.
Mais d’Espinosa continuait à parler de choses indifférentes et
Pardaillan attendait patiemment qu’il lui plût de se décider, bien
persuadé qu’avant de le quitter d’Espinosa lui porterait le coup
qu’il méditait.
Cependant, le grand inquisiteur, toujours accompagné de
Pardaillan franchit une dizaine de
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