Les amours du Chico
je
souscris une des deux conditions que vous vouliez m’imposer.
Si maître de lui qu’il fût, d’Espinosa ne put réprimer un geste
de surprise. Pardaillan eut un léger sourire et continua avec cet
air glacial qui dénotait une inébranlable résolution :
– Pareillement, je souscris à votre seconde condition et je
vous engage ma parole d’honneur que nul ne saura que j’ai tenu le
grand inquisiteur d’Espagne à ma merci et que je lui ai fait grâce
de la vie.
Pour le coup d’Espinosa fut assommé par cette pénétration qui
tenait du prodige et il le laissa voir.
– Quoi, balbutia-t-il, vous avez deviné !
Encore une fois, Pardaillan eut un sourire énigmatique et
reprit :
– Je ne vois pas que vous ayez d’autres conditions à me
poser. Si je me suis trompé, dites-le.
– Vous ne vous êtes pas trompé, fit d’Espinosa qui s’était
ressaisi.
– Et maintenant voici mes petites conditions à moi.
Premièrement, je ne serai pas inquiété pendant le court séjour que
j’ai à faire ici et je quitterai le royaume avec tous les honneurs
dus au représentant de Sa Majesté le roi de France.
– Accordé ! fit d’Espinosa sans hésiter.
– Secondement, nul ne pourra être inquiété du fait d’avoir
montré quelque sympathie à l’adversaire que j’ai été pour vous.
– Accordé, accordé !
– Troisième enfin, il ne sera rien entrepris contre le fils
de don Carlos, connu sous le nom de don César El Torero.
– Vous savez ?…
– Je sais cela… et bien d’autres choses, dit froidement
Pardaillan. Il ne sera rien entrepris contre don César et sa
fiancée, connue sous le nom de la Giralda. Il pourra, avec sa
fiancée, quitter librement l’Espagne sous la sauvegarde de
l’ambassadeur de France. Et comme il ne serait pas digne que le
petit fils d’un monarque puissant vécût pauvre et misérable à
l’étranger, il lui sera remis une somme – que je laisse à votre
générosité le soin de fixer – et avec laquelle il pourra s’établir
en France et y faire honorable figure. En échange de quoi j’engage
ma parole que le prince ne tentera jamais de rentrer en Espagne et
ignorera, du moins de mon fait, le secret de sa naissance.
À cette proposition, évidemment inattendue, d’Espinosa réfléchit
un instant ; et fixant son œil clair sur l’œil loyal de
Pardaillan, il dit :
– Vous vous portez garant que le prince n’entreprendra rien
contre le trône, qu’il ne tentera pas de rentrer dans le
royaume ?
– J’ai engagé ma parole fit Pardaillan glacial. Cela
suffit, je pense.
– Cela suffit, en effet, dit vivement d’Espinosa. Peut-être
avez-vous trouvé la meilleure solution de cette grave affaire.
– En tout cas, dit gravement Pardaillan, ce que je vous
propose est humain… je ne saurais en dire autant de ce que vous
vouliez faire.
– Eh bien ! ceci est accordé comme le reste.
– En ce cas, dit Pardaillan en se levant, il ne nous reste
plus qu’à quitter au plus tôt ce lieu. L’air qu’on y respire n’est
pas précisément agréable.
D’Espinosa se leva à son tour, et au moment d’ouvrir la porte
secrète :
– Quelles garanties exigez-vous de la loyale exécution du
pacte qui nous unit ? dit-il.
Pardaillan le regarda un instant droit dans les yeux, et
s’inclinant avec une certaine déférence :
– Votre parole, monseigneur, dit-il très simplement, votre
parole de gentilhomme.
Pour la première fois de sa vie, peut-être, d’Espinosa se sentit
violemment ému. Qu’un tel homme, après tout ce qu’il avait tenté
contre lui, lui donnât une telle marque d’estime et de confiance,
cela l’étonnait prodigieusement et bouleversait toutes ses
idées.
Pardaillan, avec cette intuition merveilleuse qui le guidait,
avait trouvé le meilleur moyen de le forcer à tenir ses
engagements. Il savait très bien que des promesses s’oublient,
qu’un serment perd sa valeur lorsque celui qui le fait est un
prince de l’Église qui peut se délier lui-même, enfin qu’un ordre
de ministre s’annule par un autre du même ministre et tout est dit.
En faisant appel au gentilhomme, en s’en rapportant à sa foi, il
avait fait preuve d’une habileté consommée.
Quoi qu’il en soit, d’Espinosa, sous le coup de l’émotion
soutint le regard de Pardaillan avec une loyauté égale à celle de
son ancien ennemi et, aussi simplement que lui, il lui dit
gravement :
– Sire de Pardaillan, vous avez ma
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