Les amours du Chico
assistance, il serait peut-être prudent de
s’informer jusqu’à quel point aide et assistance lui seront
profitables à elle-même. Il serait au moins imprudent de compter
sur elle dès l’instant où vous ne lui serez plus utile. Si elle
vous aime, tenez-vous sur vos gardes. Jamais vous n’aurez été aussi
près de votre dernière heure. Si elle vous hait, fuyez ou c’en est
fait de vous. Si vous lui rendez service, ne comptez pas sur sa
reconnaissance. Ainsi, tenez, le même ami m’a raconté qu’après
avoir sauvé la vie de Fausta, dans le temps même où il s’efforçait
de la conduire en lieu sûr, elle machinait un joli guet-apens dans
lequel il n’a tenu qu’à un fil qu’il laissât ses os. Après cela,
fiez-vous donc à Fausta !
– C’est qu’elle m’a révélé des choses extraordinaires. Et
je ne serais pas fâché de savoir jusqu’à quel point je dois prêter
créance à ses paroles.
– Fausta ne fait et ne dit jamais rien d’ordinaire. Elle ne
ment jamais non plus. Elle dit toujours les choses telles qu’elle
les voit à son point de vue… Ce n’est point sa faute si ce point de
vue ne correspond pas toujours à la vérité exacte.
Le Torero comprit qu’il ne lui serait pas facile de se faire une
opinion exacte tant qu’il s’obstinerait à procéder par questions
directes. Il jugea que le mieux était de conter point par point les
différentes parties de son entrevue.
– M me Fausta, dit-il, m’a dit une chose
inconcevable, incroyable. Tenez-vous bien, chevalier, vous allez
être étonné. Elle prétend que je suis… fils de roi !
Pardaillan ne parut nullement étonné, et ce fut le Torero, au
contraire, qui fut ébahi de la tranquillité avec laquelle était
accueillie cette révélation qu’il jugeait sensationnelle.
– Pourquoi pas, don César ? J’ai toujours pensé que
vous deviez être de très illustre famille. On sent qu’il y a de la
race en vous, et malgré la modestie de votre position, vous fleurez
le grand seigneur d’une lieue.
– Grand seigneur, tant que vous voudrez, chevalier ;
mais de là à être de sang royal, et qui mieux est, héritier d’un
trône, le trône d’Espagne, avouez qu’il y a loin.
– Je ne dis pas non. Cela ne me paraît pas impossible
pourtant, et j’avoue, quant à moi, que vous feriez figure de roi
autrement noble et impressionnante que celle de ce vieux podagre
qui règne sur les Espagnes.
– Vous ajouteriez foi à de pareilles billevesées ? fit
le Torero en scrutant attentivement la physionomie de
Pardaillan.
Mais les traits du chevalier n’exprimaient généralement que ce
qu’il voulait bien laisser voir. En ce moment il lui plaisait de
montrer une froide assurance et son œil se fixait plus scrutateur
que jamais sur son interlocuteur assez décontenancé.
– Pourquoi pas ? fit-il pour la deuxième fois.
Et avec une intonation étrange il ajouta :
– N’avez-vous pas ajouté foi à ces billevesées, comme vous
dites ?
– Oui, dit franchement le Torero. J’avoue que j’ai eu un
instant de sotte vanité et que je me suis cru fils de roi. Mais
j’ai réfléchi depuis, et maintenant…
– Maintenant ? fit Pardaillan, dont l’œil pétilla.
– Je comprends l’absurdité d’une pareille assertion.
– Je confesse que je ne vois rien d’absurde là, insista
Pardaillan.
– Peut-être auriez-vous raison en ce qui concerne la
prétention elle-même. Ce qui la rend absurde à mes yeux, ce sont
les circonstances anormales qui l’accompagnent.
– Expliquez-vous.
– Voyons, est-il admissible que, fils légitime du roi et
d’une mère irréprochable, j’aie été poursuivi par la haine aveugle
de mon père ? Qu’on en ait été réduit, pour sauver les jours
menacés de l’enfant, à l’enlever, le cacher, l’élever – si on peut
dire, car en résumé je me suis élevé tout seul – obscur, pauvre,
déshérité ? Admettez-vous cela ?
– Cela peut paraître étrange, en effet. Mais étant donné le
caractère féroce, ombrageux à l’excès du roi Philippe, je ne vois,
pour ma part, rien de tout à fait impossible à ce qui peut paraître
un roman.
Le Torero secoua énergiquement la tête.
– Je ne vois pas comme vous, dit-il fermement. Les
conditions dans lesquelles j’ai été élevé sont normales,
naturelles, je dirai mieux, elles me paraissent obligatoires s’il
s’agit – et je crois que c’est mon cas – d’une naissance
clandestine,
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