Les amours du Chico
ivre
d’orgueil, ivre d’ambition. J’étais sur le point d’accepter.
Heureusement pour moi, la princesse à ce moment m’a fait une
dernière proposition, ou, pour mieux dire, m’a posé une dernière
condition.
– Voyons la condition, dit Pardaillan, qui se doutait bien
de quoi il retournait.
– La princesse m’a offert de partager ma fortune, ma
gloire, mes conquêtes – car elle escompte tout cela – en devenant
ma femme.
– Hé ! vous ne seriez pas si à plaindre, persifla
Pardaillan. On vous offre la fortune, un trône, la gloire, des
conquêtes prodigieuses, qui sait, peut-être la reconstitution de
l’empire de Charlemagne, et comme si cela ne suffisait pas, on y
ajoute l’amour sous les traits de la femme la plus belle qui soit
et vous vous plaignez. J’espère bien que vous n’avez pas commis
l’insigne folie de refuser des offres aussi merveilleuses.
– Ne raillez pas, chevalier, c’est cette dernière
proposition qui m’a sauvé. J’ai songé à ma petite Giralda qui m’a
aimé de tout son cœur alors que je n’étais qu’un pauvre aventurier.
J’ai compris qu’on la menaçait, oh ! d’une manière détournée.
J’ai compris qu’en tout cas, elle serait la première victime de ma
lâcheté, et que pour me hausser à ce trône, avec lequel on me
fascinait, il me faudrait monter sur le cadavre de l’innocente
amoureuse sacrifiée. Et j’ai été, je vous jure, bien honteux.
« Amour, amour, songea Pardaillan, qu’on aille après
celle-là, nier ta puissance ! »
Et tout haut, d’un air railleur :
– Allons, bon ! Vous avez fait la folie de
refuser.
– Je n’ai pas eu le temps de refuser.
– Tout n’est pas perdu alors, dit Pardaillan, de plus en
plus railleur.
– La princesse ne m’a pas laissé parler. Elle a exigé que
ma réponse fût renvoyée à après-demain.
– Pourquoi ce délai ? fit Pardaillan en dressant
l’oreille.
– Elle prétend que demain se passeront des événements qui
influeront sur ma décision.
– Ah ! quels événements ?
– La princesse a formellement refusé de s’expliquer sur ce
point.
On remarquera que le Torero passait sous silence tout ce qui
concernait l’attentat prémédité sur sa personne, que lui avait
annoncé Fausta. Est-ce à dire qu’il n’y croyait pas… Tout lui
faisait supposer qu’elle avait dit vrai, au contraire. Seulement
Fausta avait parlé d’une armée mise sur pied, elle avait parlé
d’émeute, de véritable bataille, et sur ce point le Torero croyait
fermement qu’elle avait considérablement exagéré. S’il avait connu
Fausta, il n’eût pas eu cette idée et peut-être alors aurait-il mis
Pardaillan au courant. Le Torero croyait donc à une vulgaire
tentative d’assassinat, et il eût rougi de paraître implorer un
secours pour si peu. Il devait amèrement se reprocher plus tard ce
faux point d’honneur.
Pardaillan de son côté cherchait à démêler la vérité dans les
réticences du jeune homme. Il n’eut pas de peine à la découvrir,
puisqu’il avait entendu Fausta adjurer les conjurés de se rendre à
la corrida pour y sauver le prince menacé de mort. Il conclut en
lui-même : « Allons, il est brave vraiment. Il sait qu’il
sera assailli, et il ne me dit rien. Il est de la catégorie des
braves qui n’appellent jamais au secours et ne comptent que sur
eux-mêmes. Heureusement, je sais, moi, et je serai là, moi
aussi. »
Et tout haut il dit :
– Je disais bien, tout n’est pas perdu. Après-demain vous
pourrez dire à la princesse que vous acceptez d’être son heureux
époux.
– Ni après-demain, ni jamais, dit énergiquement le Torero.
J’espère bien ne jamais la revoir. Du moins ne ferai-je rien pour
la rencontrer. Ma conviction est absolue : je ne suis pas le
fils du roi, je n’ai aucun droit au trône qu’on veut me faire
voler. Et quand bien même je serais fils du roi, quand bien même
j’aurais droit à ce trône, ma résolution est irrévocablement
prise : Torero je suis, Torero je resterai. Pour accepter, je
vous l’ai dit, il faudrait que le roi consentît à me reconnaître
spontanément. Je suis bien tranquille sur ce point. Et quant à
l’alliance de M me Fausta – remarquez, je vous prie,
que je ne dis pas l’amour ; elle-même, en effet, a pris soin
de m’avertir qu’il ne pouvait être question d’amour entre nous –
j’ai l’amour de ma Giralda, et il me suffit.
Les yeux de Pardaillan
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