Les amours du Chico
pétillaient de joie. Il le sentait bien
sincère, bien déterminé. Néanmoins il tenta une dernière
épreuve.
– Bah ! fit-il, vous réfléchirez. Une couronne est une
couronne. Je ne connais pas de mortel assez grand, assez
désintéressé pour refuser la suprême puissance.
– Bon ! dit le Torero en souriant. Je serai donc cet
oiseau rare. Je vous jure bien, chevalier, et vous me feriez injure
de ne pas me croire qu’il en sera ainsi que je l’ai décidé :
je resterai le Torero et serai l’heureux époux de la Giralda.
N’ajoutez pas un mot, vous n’arriveriez pas à me faire changer
d’idée. Laissez-moi plutôt vous demander un service.
– Dix services, cent services, dit le chevalier très ému.
Vous savez bien, mordieu ! que je vous suis tout acquis.
– Merci, dit simplement le Torero ; j’escomptais un
peu cette réponse, je l’avoue. Voici donc : j’ai des raisons
de croire que l’air de mon pays ne nous vaut rien, à moi et à la
Giralda.
– C’est aussi mon avis, dit gravement Pardaillan.
– Je voulais donc vous demander s’il ne vous ennuierait pas
trop de nous emmener avec vous dans votre beau pays de
France ?
– Morbleu ! c’est là ce que vous appelez demander un
service ! Mais, cornes du diable ! c’est vous qui me
rendez service en consentant à tenir compagnie à un vieux routier
tel que moi !
– Alors c’est dit ? Quand les affaires que vous avez à
traiter ici seront terminées, je pars avec vous. Il me semble que
dans votre pays je pourrai me faire ma place au soleil, sans
déroger à l’honneur.
– Et, soyez tranquille, vous vous la ferez grande et belle,
ou j’y perdrai mon nom.
– Autre chose, dit le Torero avec une émotion
contenue : s’il m’arrivait malheur…
– Ah ! fit Pardaillan hérissé.
– Il faut tout prévoir. Je vous confie la Giralda.
Aimez-la, protégez-la. Ne la laissez pas ici… on la tuerait.
Voulez-vous me promettre cela ?
– Je vous le promets, dit simplement Pardaillan. Votre
fiancée sera ma sœur, et malheur à qui oserait lui manquer.
– Me voici tout à fait rassuré, chevalier. Je sais ce que
vaut votre parole.
– Eh bien ! éclata Pardaillan, voulez-vous que je vous
dise ? Vous avez bien fait de repousser les offres de Fausta.
Si vous avez éprouvé un déchirement à renoncer à la couronne qu’on
vous offrait – oh ! ne dites pas non, c’est naturel en somme –
si vous avez éprouvé un regret, dis-je, soyez consolé, car vous
n’êtes pas plus fils du roi Philippe que moi.
– Ah ! je le savais bien ! s’écria triomphalement
le Torero. Mais vous-même ! comment savez-vous ? Comment
pouvez-vous parler avec une telle assurance ?
– Je sais bien des choses que je vous expliquerai plus
tard, je vous en donne ma parole. Pour le moment, contentez-vous de
ceci : vous n’êtes pas le fils du roi, vous n’aviez aucun
droit à la couronne offerte.
Et avec une gravité qui impressionna le Torero :
– Mais vous n’avez pas le droit de haïr le roi Philippe. Il
vous faut renoncer à certains projets de vengeance dont vous m’avez
entretenu. Ce serait un crime, vous m’entendez, un crime !
– Chevalier, dit le Torero aussi ému que Pardaillan, si
tout autre que vous me disait ce que vous me dites, je demanderais
des preuves. À vous je dis ceci : dès l’instant où vous
affirmez que mon projet serait criminel, j’y renonce.
Cette preuve de confiance, cette déférence touchèrent vivement
le chevalier.
– Et vous verrez que vous aurez lieu de vous en féliciter,
s’écria-t-il gaiement. J’ai remarqué que nos actions se traduisent
toujours par des événements heureux ou néfastes, selon qu’elles ont
été bonnes ou mauvaises. Le bien engendre la joie, comme le mal
engendre le malheur. Il n’est pas nécessaire d’être un bien grand
clerc pour conclure de là que les hommes seraient plus heureux
s’ils consentaient à suivre le droit chemin. Mais pour en revenir à
votre affaire, vous verrez que tout s’arrangera au mieux de vos
désirs. Vous viendrez en France, pays où l’on respire la joie et la
santé ; vous y épouserez votre adorable Giralda, vous y vivrez
heureux et… vous aurez beaucoup d’enfants.
Et il éclata de son bon rire sonore.
Le Torero entraîné, lui répondit en riant aussi :
– Je le crois, parce que vous le dites et aussi pour une
autre raison.
– Voyons ta raison, si toutefois ce n’est pas être
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