Les amours du Chico
trop
curieux.
– Non, par ma foi ! Je crois à ce que vous dites parce
que je sens, je devine que vous portez bonheur à vos amis.
Pardaillan le considéra un moment d’un air rêveur.
– C’est curieux, dit-il, il y a environ deux ans, et la
chose m’est restée gravée là – il mit son doigt sur son front – une
femme qu’on appelait la bohémienne Saïzuma [3] , et qui en
réalité portait un nom illustre qu’elle avait oublié elle-même, une
série de malheurs terrifiants ayant troublé sa raison, Saïzuma donc
m’a dit la même chose, à peu près dans les mêmes termes. Seulement
elle ajouta que je portais le malheur en moi, ce qui n’était pas
précisément pour m’être agréable.
Et il se replongea dans une rêverie douloureuse, à en juger par
l’expression de sa figure. Sans doute, il évoquait un passé, proche
encore, passé de luttes épiques, de deuils et de malheurs.
Le Torero, le voyant devenu soudain si triste, se reprocha
d’avoir, sans le savoir, éveillé en lui de pénibles souvenirs, et
pour le tirer de sa rêverie il lui dit :
– Savez-vous ce qui m’a fort diverti dans mon aventure avec
M me Fausta ?
Pardaillan tressaillit violemment et, revenant à la
réalité :
– Qu’est-ce donc ? fit-il.
– Figurez-vous, chevalier, que je me suis trouvé en
présence de certain intendant de la princesse
,
lequel
intendant me donnait du « monseigneur » à tout propos et
même hors de tout propos. Rien n’était risible comme la manière
emphatique et onctueuse avec laquelle ce brave homme prononçait ce
mot. Il en avait plein la bouche. Parlez moi de
M me Fausta pour donner aux mots leur véritable
signification. Elle aussi m’a appelé monseigneur, et ce mot, qui me
faisait sourire prononcé par l’intendant, placé dans la bouche de
Fausta prenait une ampleur que je n’aurais jamais soupçonnée. Elle
serait arrivée à me persuader que j’étais un grand personnage.
– Oui, elle possède au plus point l’art des nuances. Mais
ne riez pas trop toutefois. Vous avez, de par votre naissance,
droit à ce titre.
– Comment, vous aussi, chevalier, vous allez me donner du
monseigneur ? fit en riant le Torero.
– Je le devrais, dit sérieusement le chevalier. Si je ne le
fais pas, c’est uniquement parce que je ne veux pas attirer sur
vous l’attention d’ennemis tout puissants.
– Vous aussi, chevalier, vous croyez mon existence
menacée ?
– Je crois que vous ne serez réellement en sûreté que
lorsque vous aurez quitté à tout jamais le royaume d’Espagne. C’est
pourquoi la proposition que vous m’avez faite de m’accompagner en
France m’a comblé de joie.
Le Torero fixa Pardaillan et, d’un accent ému :
– Ces ennemis qui veulent ma mort, je les dois à ma
naissance mystérieuse. Vous, Pardaillan, vous connaissez ce secret.
Comment l’étranger que vous êtes a-t-il pu, en si peu de temps,
soulever le voile d’un mystère qui reste toujours impénétrable pour
moi, après des années de patientes recherches ? Ce secret
n’est-il donc un secret que pour moi ? Ne me heurterai-je pas
toujours et partout à des gens qui savent et qui semblent s’être
fait une loi de se taire ?
Vivement ému Pardaillan dit avec douceur :
– Très peu de gens savent, au contraire. C’est par suite
d’un hasard fortuit que j’ai connu la vérité.
– Ne me la ferez-vous pas connaître ?
Pardaillan eut une seconde d’hésitation et :
– Oui, dit-il, vous laisser dans cette incertitude serait
vraiment trop pénible. Je vous dirai donc tout.
– Quand ? fit vivement le Torero.
– Quand nous serons en France.
Le Torero hocha douloureusement la tête.
– Je retiens votre promesse, dit-il.
Et il ajouta :
– Savez-vous ce que prétend
M me Fausta ?
Et devant l’interrogation muette du chevalier qui se tenait sur
la réserve :
– Elle prétend que c’est le roi, le roi seul qui est mon
ennemi acharné, et veut ma mort. Et vous, vous me dites que le
frapper serait un crime.
– Je le dis et je le maintiens, morbleu !
Le Torero remarqua que Pardaillan évitait de répondre à sa
question. Il n’insista pas, et le chevalier demanda d’un air
détaché :
– Vous prendrez part à la course de demain ?
– Sans doute.
– Vous êtes absolument décidé ?
– Le moyen de faire, autrement ? Le roi m’a fait
donner l’ordre d’y paraître. On ne se dérobe pas à un ordre du roi.
Puis
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