Les Amours qui ont fait la France
désirerais être conduite dans un endroit où je puisse m’expliquer librement et, remise en liberté, obtenir de Votre Miséricorde Apostolique d’être relevée des déclarations qui auraient pu m’être arrachées par la contrainte.
Cette lettre émut le pape qui adressa de sérieuses remontrances à Philippe Auguste ; celui-ci, peu désireux de recommencer la guerre avec Rome, jugea prudent de se soumettre et fit adoucir la détention d’Ingeburge.
La reine répudiée en conçut immédiatement un espoir insensé qui l’aida à vivre dans l’inconfortable prison d’Étampes.
C’est alors que le roi pensa à se remarier pour la quatrième fois. Il avait bien, depuis quelque temps, une liaison avec une jeune personne que les chroniqueurs nomment « la demoiselle d’Arras [58] », mais c’était une femme légitime qu’il voulait, sachant bien que le pape ne s’opposerait plus à son remariage. En effet, Innocent III était maintenant disposé à reprendre la procédure de divorce, en tenant compte, cette fois, de l’ accusation de sorcellerie portée contre Ingeburge…
Ce fait nouveau rassurait Philippe Auguste. Et sans doute serait-il arrivé à faire annuler son union et à chasser définitivement Ingeburge de son royaume, si certains événements politiques n’étaient venus bouleverser tous ses plans.
À cette époque, Jean sans Terre, roi d’Angleterre, qui, depuis longtemps, jalousait Philippe Auguste et voulait sa perte, trouva un allié sur le continent, en la personne de l’empereur germanique Othon de Brunswick.
Leur coalition fit peser immédiatement une menace extrême sur notre pays.
Fort inquiet, Philippe Auguste comprit qu’une bataille dont pouvait dépendre non seulement la couronne, mais l’avenir de la France, allait avoir lieu, et il se prépara. Il fit fortifier Paris et les principales villes du domaine royal : Reims, Châlons-sur-Marne, Péronne…
Puis il se dit qu’il lui faudrait une flotte pour tenir tête convenablement à l’Angleterre et il pensa au Danemark, dont les navires étaient les plus beaux d’Occident.
Il était difficile, toutefois, de négocier une alliance avec la cour danoise sans rendre d’abord à Ingeburge son rang de reine de France… L’instant était grave. Philippe n’hésita pas. Il courut à Étampes et parut dans la cellule où la prisonnière commençait, après vingt ans de réclusion en divers endroits, à perdre l’espoir d’être libre un jour.
En le voyant entrer, elle tomba à genoux. Il lui tendit une main, qu’elle baisa.
— Relevez-vous, madame, je viens vous chercher. Par suite d’une male inspiration, je vous ai fait mauvaiseté. Pardonnez-moi. Votre place est sur le trône de France, à côté de moi.
Ingeburge avait toujours, et contre toute logique, espéré que cet instant viendrait. Elle pleura, s’accrocha aux mains de Philippe Auguste et essaya de se faire embrasser. Le roi, « qui avait encore quelques craintes, ne put s’y résoudre le premier jour… ». Mais c’est en lui tenant la main qu’il la ramena au palais.
Quelques années passèrent. Elles furent consacrées à des préparatifs de guerre, et Philippe Auguste, attentif à traiter Ingeburge en souveraine, lui exposait en détail la marche des événements.
Il s’aperçut alors qu’elle était de bon conseil et s’en réjouit. La présence de la reine au Louvre eut d’ailleurs un excellent effet sur le roi : délivré de la répulsion presque superstitieuse qu’il avait pour Ingeburge depuis vingt ans, et qui le rendait parfois extrêmement nerveux, il retrouva peu à peu son équilibre, et c’est en possession de tous ses moyens qu’il se prépara à livrer la plus importante bataille de notre histoire.
L’encerclement de la France ayant fait de rapides progrès, Philippe Auguste lança un appel à ses grands vassaux, qui vinrent se grouper autour de lui avec tous les hommes dont ils disposaient. Il y eut ainsi, en ce début de juillet 1214, une véritable atmosphère de mobilisation générale.
Le 12, le roi quitta le Louvre, après avoir reçu de la reine Ingeburge « long et doux baiser sur les lèvres en manière de protection », et monta vers le nord avec ses armées. Derrière Valenciennes, il y avait l’empereur Otho et quatre-vingt mille hommes. Il fallait leur livrer bataille et les vaincre…
La rencontre eut lieu le 27 juillet, non loin de Cysoing, où Ingeburge avait été longtemps
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