Les Amours qui ont fait la France
une belle adolescente aux cheveux blond cendré, gracieuse de visage et agréable de formes. Il se souvenait que tous les barons, lorsqu’ils parlaient d’elle, avaient des flammes dans le regard. Et il se laissa convaincre sans trop de difficultés.
— Ma fille est à l’abbaye de Val-Secret, près de Château-Thierry, dit Mauclerc, elle vous attend.
Et il s’en alla, ravi du bon tour qu’il venait de jouer à la reine.
Le lendemain, à l’aube, Thibaut, en grand équipage, prenait la route de Château-Thierry. Le soir, il fut rejoint par un envoyé de Blanche, qui lui remit la lettre suivante :
Sire comte Thibaut, ai entendu que vous avez convenancé et promis au comte Pierre de Bretagne de prendre à femme sa fille. Partant, vous mande que si vous aimez le royaume de France, ne le fassiez point. Car vous savez que le comte de Bretagne a pis fait au roi que nul homme qui vive [70] .
La reine, qui pourtant devait souffrir de la trahison de son ami, ne laissait échapper aucune plainte, ne montrait aucune amertume. Cette discrétion toucha Thibaut. Les larmes aux yeux, il déclara au messager qu’il serait le lendemain au Louvre. Puis il envoya, sans plus attendre, une lettre à Mauclerc pour lui annoncer qu’il refusait la main de Yolande. La reine avait gagné la partie.
Tandis qu’à Paris Thibaut obtenait son pardon, le comte de Bretagne, furieux de l’affront qu’il avait reçu, décidait de se venger. Quelques semaines plus tard, tous les grands vassaux amis de Mauclerc pénétraient en Champagne et ravageaient les domaines de Thibaut.
Blanche de Castille n’avait pas de rancune. Elle envoya immédiatement les armées royales au secours de son cher trouvère, ce qui permit à celui-ci de conclure une paix honorable.
Pendant cette guerre, qui dura assez longtemps, des gens malveillants firent courir le bruit que la reine était la maîtresse du légat du pape, le cardinal Frangipani.
Blanche commença par hausser les épaules.
Mais, quand les rumeurs devinrent trop précises, elle s’alarma. Son respect pour la religion était si grand qu’elle ne pouvait supporter des accusations aussi odieuses. Et, le jour où elle apprit qu’on allait jusqu’à affirmer qu’elle était enceinte du cardinal, elle se résigna à paraître devant une sorte de jury, vêtue d’une simple chemise.
D’autres accusations plus terribles allaient bientôt l’atteindre.
Les étudiants n’étaient pas les derniers, on le pense bien, à conter des anecdotes grivoises sur les « amours » de la reine et du cardinal. Celui-ci eut même, un jour, entre les mains, quelques couplets fort orduriers que les écoliers chantaient en chœur le soir quand ils avaient bu, et il en conçut une violente fureur.
— Madame, dit-il à la reine, les garçons qui fréquentent l’Université s’efforcent, en des chansons malhonnêtes, de ternir votre honneur. Je ne puis le supporter, d’autant que je suis mis en cause. Il faut prendre des mesures sévères…
Blanche de Castille connaissait toutes les calomnies qui couraient sur son compte.
— Il serait malhabile, dit-elle, de donner à penser que ces chansons ignobles nous atteignent. Attendons un prétexte pour sévir.
Elle savait qu’avec les étudiants (qui se livraient à tous les excès, enlevaient les femmes, tuaient et volaient les bourgeois) l’occasion ne pouvait manquer de se présenter rapidement.
Or, à quelque temps de là, un incident fâcheux se produisit dans le quartier des écoles. Un étudiant, ayant essayé, à la suite d’un pari, de violer sur une table la fille d’un tavernier, reçut un coup de couteau qui lui troua la poitrine. Aussitôt, ses camarades voulurent le venger et bondirent sur le tavernier qui appela à l’aide. Tous les marchands du voisinage accoururent à son secours, armés de bâtons, de dagues et d’épées. Ce fut une mêlée horrible. On se roua de coups pendant plusieurs heures et les écoliers durent battre en retraite, laissant sur le pavé trois cent vingt des leurs, tués par les marchands.
Ceux-ci furent d’ailleurs subitement pris de panique à la vue de ces corps sanglants qui jonchaient la chaussée et, traînant par les pieds les « pauvres escholiés occis », ils allèrent les jeter dans la Seine.
Pourtant, le lendemain, les hommes du guet furent fortement intrigués par le désordre qui régnait dans la rue du tavernier. Au milieu de flaques de sang, on trouvait des débris
Weitere Kostenlose Bücher