Les Amours qui ont fait la France
devenir fou…
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La reine Isabeau et ses amants trahissent la France
— Madame, la déesse Vénus règne seule à votre cour !
Jacques Legrand,
dans un sermon adressé à Isabeau de Bavière.
À ce moment, la cour était installée à l’hôtel Saint-Pol, situé non loin de cette bastide (ou bastille) que le roi faisait construire à l’est de Paris.
Charles V aimait cette résidence qui le reposait du Louvre, trop vieux et trop austère. Il l’avait fait édifier pour plaire à la reine et il y vivait simplement, entouré de ses intimes.
Parmi ceux-ci se trouvaient quelques personnages pour le moins singuliers. Laids, contrefaits, difformes, vêtus de façon grotesque, ils passaient leur temps à gambader ou à tenir des propos saugrenus.
C’étaient des « fous ».
Charles le Sage, en effet, fut le premier roi de France qui n’eut pas seulement un bouffon, mais une troupe de fous à sa cour [104] .
Christine de Pisan nous dit qu’il aimait énormément leur entretien. Chaque matin à son lever, après avoir fait sa prière, il les réunissait dans sa chambre et les interrogeait sur des sujets divers : les invités de la cour, les ministres, ou les affaires du temps. Les réponses extravagantes que lui faisaient les fous, garantis par une impunité absolue, l’amusaient beaucoup et le mettaient de joyeuse humeur pour aller ensuite présider son Conseil.
Ces fous, qui avaient rang d’officiers et dont la verve insolente et malicieuse s’exerçait sans considération de titre ni de grade, étaient au nombre de trois. Le seul dont le nom nous soit parvenu s’appelait Thévenin de Saint-Légier. Il était fort spirituel et fort méchant, aussi était-il craint de tous les courtisans.
Les femmes, au contraire, recherchaient sa compagnie. Elles le considéraient avec un intérêt un peu insolite auquel il feignait de ne pas prendre garde ; mais il voyait dans leurs prunelles un éclair de perversité annonciateur de nuits blanches dont il savourait à l’avance le délectable plaisir… Car toutes, rebutées de se donner à de beaux chevaliers, rêvaient de passer une nuit avec cet homme qui était à la fois nain et bossu. Thévenin savait à quoi s’en tenir sur les sentiments qu’il inspirait, mais il n’en éprouvait aucune amertume. Paillard avant tout, il profitait de ces bonnes fortunes avec un admirable sens de l’à-propos et de la philosophie. Aussi alla-t-il rouler sa bosse dans le lit de presque toutes les dames de la cour…
Pourtant, il n’en aima jamais aucune. Car il était amoureux de la seule femme qui pût l’aimer sans arrière-pensée perverse. La seule qui pût comprendre ses joies, ses peines et ses angoisses, c’est-à-dire une « folle » comme lui. Elle s’appelait Artaude du Puy et appartenait au service personnel de la reine Jeanne.
Thévenin eût voulu l’épouser, mais il craignit toujours qu’un mariage de bouffons ne fût un trop plaisant spectacle pour les gens de la cour.
Si Charles V le Sage pouvait s’entretenir quotidiennement avec ses fous sans que leurs propos eussent une influence quelconque sur son bon sens, il n’en était pas de même de Jeanne de Bourbon. Atteinte d’un léger déséquilibre mental dû aux mariages consanguins de sa famille, elle était parfois sujette à des troubles qui la rendaient « bizarre ». Très impressionnable, elle sortait toujours un peu nerveuse de ses conversations avec sa « folle ».
Et, un jour de 1373, la reine, alors âgée de trente-cinq ans, eut une véritable crise de démence. Elle se roula par terre en poussant des hurlements et battit la pauvre Artaude du Puy qui, terrorisée, ameuta les autres fous. On assista alors à ce spectacle effrayant d’une reine frappée soudain d’aliénation mentale, gesticulant et tenant des propos incohérents devant ses bouffons terrifiés.
Alerté aussitôt, Charles V quitta la salle de son Conseil pour venir auprès de Jeanne. Il la trouva jupes par-dessus tête, en train de se livrer à des simulacres obscènes qui le consternèrent. Avec quelques douces paroles et beaucoup de ménagements, il parvint à la conduire jusque dans sa chambre, où un médecin vint la soigner après avoir déclaré qu’elle était probablement ensorcelée… Très déprimé, nous dit l’auteur de la Chronique des quatre premiers Valois , « le roi, qui moult aimait la reine, fit alors maints pèlerinages »…
Jeanne resta dans ce triste état
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