Les Amours qui ont fait la France
est de craindre le pire, je puis vous promettre que le roi et la princesse se rencontreront « par hasard »…
Il fut alors convenu qu’Isabeau, sous la conduite de son oncle Frédéric, irait en pèlerinage à Saint-Jean d’Amiens, où Charles devait également se rendre en compagnie de son oncle, Philippe le Hardi.
Un matin de juin 1385, la princesse fut prête à partir. Quand le duc de Bavière vit que sa fille allait le quitter, il l’embrassa longuement et tendrement ; puis il prit Frédéric à part et lui dit :
— Mon frère, je vous confie mon enfant avec crainte. Car, si le roi de France ne la veut pas pour épouse, elle sera déshonorée. Sachez que, si vous me la ramenez, vous n’aurez jamais de plus grand ennemi que moi.
Malheureusement pour le royaume de France, Isabeau de Bavière ne devait pas revenir chez son père.
Tout d’abord, la princesse s’arrêta à Bruxelles où la duchesse de Brabant lui donna des leçons de maintien et lui fit faire des robes élégantes, « celles qu’elle avait apportées étant trop simples selon l’État de France [108] ». Puis, quand elle fut prête, on lui fit prendre la route d’Amiens, où, déjà, le roi l’attendait avec impatience.
Charles VI avait alors dix-sept ans. Il était doué d’une sensualité quasi pathologique qui tournait à l’obsession sexuelle et dont se désolaient ses conseillers religieux [109] . Aussi avait-il l’œil brillant en imaginant la brune Allemande qu’on lui avait décrite.
Le 15 juillet, Isabeau, magnifiquement parée, arriva à Amiens où on la conduisit auprès du roi. Froissart nous conte en termes savoureux cette entrevue et le coup de foudre que ressentit Charles VI : « Quand elle fut auprès de lui, elle s’agenouilla bien bas. Le roi vint vers elle, la prit par la main, la fit se relever et la regarda de belle manière. Avec le regard, plaisance et amour entrèrent dans son cœur, car il la vit belle et jeune, et il avait grand désir de la prendre pour femme. Alors, le connétable de France dit au seigneur de Coucy et au seigneur de La Rivière :
« – Cette dame nous demeurera, le roi ne la peut quitter des yeux.
« Quand la princesse Isabeau et ses dames eurent pris congé du roi, le duc de La Rivière lui demanda :
« – Sire, que dites-vous de cette jeune dame ? Nous demeurera-t-elle ? Sera-t-elle reine de France ?
« – Par ma foi, dit le roi, oui, et nous n’en voulons point d’autre. Dites à mon oncle de Bourgogne, pour Dieu, qu’il s’en acquitte.
« Le duc de Bourgogne partit donc de la chambre du roi et s’en alla dans la chambre de la duchesse de Hainaut, où il trouva avec elle la princesse qui devait être sa nièce. Le duc la salua comme il lui appartenait et comme il le savait bien faire, et puis il dit à la duchesse tout en riant :
« – Madame et belle cousine, Monseigneur a brisé votre projet d’aller à Arras, car ce mariage le presse trop fort. Vous vous reposerai donc aujourd’hui et demain en cette ville, et lundi seront les noces [110] . »
Il y eut des cris de joie.
Isabeau, qui ne comprenait pas le français, demanda à la duchesse de Hainaut ce que le duc de Bourgogne venait de dire de si drôle et de si heureux.
On lui apprit alors qu’elle se mariait le surlendemain avec le roi de France, ce qui ne laissa pas de l’étonner un peu…
Le soir même, un envoyé du duc de Bavière vint demander à Charles VI quelle dot il désirait qu’Isabeau lui apportât.
— Aucune, dit le jeune roi, surexcité par les formes émouvantes de la princesse allemande, les belles qualités de ma fiancée sont plus précieuses que tout l’or que l’on pourrait me donner !
Un mois plus tard, ces « belles qualités » allaient curieusement se manifester…
Le mariage eut lieu le 18 juillet en la cathédrale d’Amiens.
Mais les choses avaient été si promptement décidées que la plupart des dames de la cour n’eurent pas le temps de se faire confectionner les somptueuses toilettes qu’elles eussent désirées pour une telle cérémonie, et qu’Isabeau de Bavière elle-même n’eut pas de robe de mariée.
Les fêtes n’en furent pas moins fort brillantes. Un banquet fastueux eut lieu dans le palais épiscopal où le service fut fait par des comtes et des barons. Après quoi, tandis que les invités dansaient « fort innocemment », Charles VI, pressé de connaître les joies auxquelles il aspirait depuis trois
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