Les Amours qui ont fait la France
pendant toute l’année 1373. Puis la raison et la « bonne mémoire » lui revinrent peu à peu.
En 1374, elle allait tout à fait mieux, lorsque Charles V tomba malade à son tour. Croyant sa fin prochaine, le roi fit son testament et déclara que, s’il disparaissait, son épouse bien-aimée serait régente du royaume. Il fallait que Charles fût bien amoureux pour prendre une décision aussi surprenante, car la pauvre pouvait retomber d’un moment à l’autre dans la folie…
Heureusement pour la France, la reine mourut en couches au printemps de 1377, pour avoir voulu se baigner alors qu’elle était enceinte [105] .
Le roi fut terrassé par le chagrin au point qu’il cessa pendant plusieurs semaines de s’occuper des affaires de l’État et qu’on ne le vit plus jamais sourire. Voici d’ailleurs ce que nous dit Christine de Pisan à ce propos : « Samedi, la reine trépassa de ce siècle. De la quelle chose le roi fut merveilleusement dolent ; et nonobstant que la vertu de constance en lui fût plus grande que communément chez les autres hommes, cette départie [séparation] lui fut si grande douleur et si longuement lui dura, que jamais on ne le vit faire pareil deuil pour chose qui advînt : car moult s’aimaient de grande amour [106] . »
On fit à la reine Jeanne de magnifiques obsèques. Son corps vêtu richement fut conduit en grande pompe à Notre-Dame sur un lit couvert d’un drap d’or et surmonté d’un ciel. On avait mis sur sa tête un voile très fin pour que le menu peuple pût voir son visage…
Les cérémonies funèbres furent longues et eurent un éclat exceptionnel. « Le roi, qui avait tant aimé le corps de la reine, pensa à son âme », nous dit Christine de Pisan. Il fit dire tant d’oraisons, en effet, que les services religieux durèrent un jour entier.
Après quoi Charles V rentra à l’hôtel Saint-Pol, où il s’enferma dans la chapelle pour y pleurer celle qu’il ne devait jamais oublier. Incapable de surmonter sa douleur, il mourut d’ailleurs quelques années plus tard, à quarante-trois ans.
Avant de s’éteindre, dans son château de Beauté-sur-Marne, près de Nogent, le 16 septembre 1380, le roi exprima le souhait que le dauphin Charles épousât une princesse allemande « pour les utiles conséquences politiques qui pourraient en résulter ».
Aussi, dès que le nouveau roi, qui n’avait alors que douze ans, fut sacré à Reims, son oncle, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, qui gouvernait le royaume en qualité de régent, se mit-il immédiatement en quête d’une princesse native d’outre-Rhin.
Au bout de quelques années, il apprit que le duc Étienne de Bavière avait une fille ravissante, âgée de quatorze ans, et nommée Isabeau [107] . Il lui fit demander s’il consentirait à la donner en mariage au roi de France. Le duc de Bavière fut très embarrassé, car un détail le gênait. Il avait entendu dire qu’il était d’usage, en France, que la fiancée du roi fût examinée toute nue par des dames de la cour « à seule fin de savoir si elle était bien conformée pour le plaisir et apte à avoir des enfants ». Et il trouvait humiliant pour une princesse de Bavière d’être obligée de se plier à une formalité aussi barbare.
De plus, il craignait qu’Isabeau ne plût pas à Charles VI.
« On dit ce jeune prince bizarre, pensait-il. Je ne veux pas que ma fille me soit enlevée pour m’être ensuite rendue. »
Et il répondit au régent de France qu’il n’accordait pas sa fille à Charles VI.
Philippe le Hardi était trop habile pour se froisser de cette réponse. En outre, il était lui-même lié à la Maison de Bavière et ne désirait pas détruire les alliances qu’il avait contractées. Il feignit donc de s’incliner devant le refus d’Étienne ; mais, trois mois plus tard, il chargeait la duchesse de Brabant, petite-fille de Philippe le Bel et femme fort adroite, de reprendre les négociations.
Le duc fut on ne peut plus flatté par cette nouvelle démarche et, cette fois, accepta que Charles vît Isabeau, à condition que les raisons de cette rencontre fussent cachées à la jeune fille.
— Ainsi, dit-il, je serai seul à subir une humiliation si le roi de France ne la trouve pas à son goût.
— Je puis vous assurer que vous n’aurez point à souffrir une telle humiliation, dit la duchesse de Brabant, la princesse Isabeau est bien trop belle. Mais, puisque votre volonté
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