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Les années folles

Les années folles

Titel: Les années folles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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une
trentaine de milles de Boston, répondit l’Américain d’adoption.
    – Tu
travailles dans quoi ?
    – Je suis foreman dans une grosse shop, se rengorgea Hervé Durand, en exhalant une
bouffée de fumée de cigare. C’est une grosse business.
    –  T’aimes ça ? demanda sa sœur Louisette,
à son tour.
    –  You bet !
    –  En tout cas, t’as pas l’air dans la
misère, lui fit remarquer son beau-frère Eugène, qui n’avait pas cessé de l’examiner
depuis son entrée dans la maison.
    Le
gros cigare, la chaîne de montre en or et le costume bleu finement rayé
donnaient indéniablement un air prospère à Hervé Durand.
    – C’est aux States qu’il y a de l’argent à faire. On niaise pas là-bas, time is money, you
know, fit-il en se rengorgeant après avoir passé les pouces dans ses larges
bretelles bleues.
    Un
peu à l’écart, sa sœur Thérèse n’avait pas cessé de le regarder. Malgré toute
sa bonne volonté, elle ne parvenait pas à reconnaître son jeune frère dans cet
homme gras, suffisant et un peu chauve. Il avait l’air de se complaire à
prendre un ton légèrement méprisant et à émailler la moindre de ses phrases de
termes anglais qu’elle ne comprenait pas.
    – Ça t’a
jamais tenté de revenir vivre ici ? reprit un autre invité.
    –  Why ?
Are you kidding ? Aux States , on a l’électricité, les chars, l’eau
courante. C’est moderne ! C’est aux States que ça se passe, pas ici.
Ici, c’est la misère noire . Si
tu travailles pas du matin au soir, tu crèves de faim. Il y a pas d’avenir au
Canada.
    Cette
repartie jeta un froid chez les hommes qui l’écoutaient.
    – Whow, sacrement !
jura Henri Delisle qui rencontrait son beau-frère pour la première fois. Il
faut tout de même pas exagérer ! Tu sauras qu’on crève pas de faim chez
nous. Au Canada, il y a des pauvres et des riches, comme aux États. On est pas
tous des quêteux parce qu’on vit pas aux États !
    Cette
réplique cinglante de son hôte sembla ramener l’invité à plus de mesure. Cependant,
ses remarques un peu méprisantes avaient jeté un froid et il cessa rapidement d’être
le centre de l’attention générale. Les gens autour de lui se remirent à
discuter entre eux des affaires de la région.
    Thérèse et
Louisette quittèrent le salon sous le prétexte de commencer à dresser la table
et les autres femmes, demeurées dans la cuisine, se levèrent dans l’intention
de les aider quand elles les virent commencer à sortir les casseroles et les
marmites.
    Le violoneux cessa
encore de jouer et les danseurs regagnèrent leur siège après avoir replacé la
table au centre de la pièce. Toutes les femmes participèrent à la préparation
du repas, sauf les deux invitées américaines figées sur leurs chaises. Quelques
hommes empruntèrent aux Delisle des vêtements de travail et allèrent leur prêter
main-forte pour traire les vaches et les nourrir.
    Le souper fut
particulièrement joyeux et on s’amusa beaucoup à raconter des mésaventures
survenues à quelques-uns des membres de la famille durant les dernières années.
Après que les femmes eurent lavé la vaisselle et rangé la nourriture, la
musique reprit et on dansa beaucoup, autant pour s’amuser que pour faciliter la
digestion d’un repas trop copieux.
    Au milieu de la
soirée, l’hôtesse attira sa sœur Thérèse dans sa chambre à coucher pour lui
montrer une broderie qu’elle avait terminée quelques jours auparavant.
    – Aie, toutes
les deux commencent à me taper sur les nerfs en pas pour rire ! s’exclama
Louisette Delisle à mi-voix.
    – De qui tu
parles ?
    – De la femme
et de la fille de notre frère. Pas un mot depuis qu’elles ont mis les pieds
dans la maison. Si ça a de l’allure ! Hervé aurait pu leur montrer au
moins à dire « merci » ou « bonjour ». Rien. Elles sont là,
plantées sur leurs chaises comme deux belles niaiseuses, à nous regarder de
haut et à se chuchoter des secrets à l’oreille. Tout ce qu’elles savent faire, c’est
ricaner. On est peut-être épais, mais on est pas aveugles.
    – Et
Hervé ? demanda Thérèse.
    – C’est notre
frère, même si je trouve qu’il a bien changé depuis le temps. Si p’ pa était encore vivant, il lui rabattrait
le caquet.
    – C’est vrai
qu’il a pas mal changé, reconnut Thérèse, le visage rembruni.
    – Sais-tu que
je regrette presque de les avoir invités à rester deux ou trois jours. Je

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