Les années folles
se pencha vers le clavier.
– C’est quoi,
ça ? fit-elle en pointant du doigt les notes abîmées.
– C’est juste
un peu de cire. Si t’arrêtes de t’énerver pour rien, on va pouvoir l’ôter, lui
dit Jean-Paul.
– C’est ça, va
chercher de l’eau chaude et dépêche-toi, lui enjoignit sa sœur en déposant sa
lampe à huile sur le piano.
Pendant que Jean-Paul allait imbiber d’eau chaude une serviette, Anne
gratta délicatement du bout de l’ongle les gouttes de cire répandues sur les
notes. Elle se rendit immédiatement compte que sur trois d’entre elles, l’ivoire
avait été attaqué par la flamme de la chandelle.
– C’est pas
vrai ! Vous avez pas brûlé le piano de m’man ! s’exclama la jeune fille,
au bord de la panique. Ça part pas ! C’est pas de la cire, ça, ajouta-t-elle
à l’intention de Léo qui la regardait faire depuis quelques instants.
De
fait, tous les efforts déployés par les deux garçons pour faire disparaître les
brûlures furent totalement inutiles. La cire disparut, mais les brûlures
demeurèrent d’autant plus visibles que le feu s’était attaqué aux notes
blanches.
– Si on
mettait un peu de peinture blanche, proposa Léo, en désespoir de cause.
– Ça tiendra
pas, affirma Anne.
– Ce serait
mieux que rien, en tout cas, dit l’adolescent en se dirigeant vers la sortie du
salon. Il en reste dans l’armoire de la cuisine d’été.
– Vous faites
ce que vous voudrez, dit Anne. Moi, je m’en lave les mains.
– C’est ça. Mêle-toi
de tes affaires, lui conseilla son jeune frère. On va mettre un peu de peinture
blanche et tout va être arrangé.
– Prends pas
m’man pour une niaiseuse, le prévint sa sœur avant de quitter le salon. C’est
sûr que demain, elle va s’en apercevoir quand elle va épousseter le salon. En
tout cas, t’es mieux de faire ça vite, précisa-t-elle à Léo, ils sont à la
veille de revenir.
Léo masqua du
mieux qu’il put les dégâts avec un peu de peinture blanche. Même à la chétive
lueur dispensée par une chandelle, il était visible que l’ivoire avait jauni
avec le temps et les retouches de peinture blanche n’en étaient que plus évidentes.
L’adolescent finit par rabattre le couvercle du clavier avant de quitter le
salon où il regrettait amèrement d’avoir mis les pieds. Quand ses parents
rentrèrent à la fin de la soirée, son jeune frère et lui étaient montés se
coucher depuis un bon moment.
Le lendemain
avant-midi, Yvette Veilleux, occupée à la préparation du dîner avec Anne, chargea
Céline d’épousseter le salon où elle allait recevoir Clément le soir même.
– Fais pas
les coins ronds, comme d’habitude, lui ordonna sa mère.
Durant
quelques minutes, il n’y eut aucun bruit dans la maison. Les garçons étaient en
train d’aider leur père à réparer un patin du berlot, dans la remise.
– M’man, quand
vous aurez le temps, vous devriez venir jeter un coup d’œil à votre piano. Il y
a quelque chose de pas normal, dit soudainement Céline qui venait de paraître à
la porte du salon.
– Mon piano ?
Quoi ? Qu’est-ce qu’il a ? demanda sa mère avec un rien d’impatience
dans la voix, en s’essuyant les mains sur son tablier.
Céline
lui montra le clavier dont elle venait de relever le couvercle pour essuyer les
notes de l’instrument.
– On dirait
qu’il est arrivé quelque chose aux notes, répondit la jeune fille. La semaine
passée, je les ai époussetées et elles étaient pas comme ça, il me semble.
Yvette se pencha
sur le clavier et, n’en croyant pas ses yeux, passa le bout de ses doigts sur
les touches en ivoire.
– Bonne
sainte Anne ! s’exclama-t-elle en pâlissant. Qu’est-ce qu’il y a eu là ?
C’est quoi qu’il y a là-dessus ? demanda-t-elle en grattant du bout de l’ongle
la peinture encore fraîche.
– Je sais pas,
admit Céline, aussi surprise que sa mère.
– Mais on
dirait bien que c’est brûlé !
Yvette,
catastrophée, regarda Céline, puis Anne, qui venait d’entrer dans la pièce. Subitement,
une lueur de compréhension s’alluma dans le regard de la mère de famille.
– Ce serait
pas arrivé hier soir, par hasard ? demanda-t-elle à Anne sur un ton menaçant.
– C’est pas
ma faute, m’man. C’est Léo, avoua piteusement l’adolescente. Pendant que j’étais
allée en haut chercher quelque chose, il est entré dans le salon avec Jean-Paul
et il a échappé la
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