Les années folles
chandelle sur le clavier.
– Des plans
pour mettre le feu à la maison ! s’écria sa mère en posant sur sa poitrine
une main crispée. Attends que je lui parle, lui ! Il est dans la remise, va
me le chercher !
Anne
se précipita dans la cuisine d’été dont elle ouvrit la porte pour héler son
frère. Ce dernier entra dans la maison en se traînant les pieds.
– M’man veut
te parler. Elle est dans le salon, lui expliqua Anne avant de s’esquiver dans
la cuisine d’hiver.
Quand
Léo pénétra dans le salon, sa mère était penchée sur le clavier de son piano. C’était
une catastrophe. Il y avait tant de beaux souvenirs rattachés à cet instrument…
Et tout ça gâché par un enfant désobéissant ! Elle en avait les larmes aux
yeux. Comment réparer les dégâts maintenant ?
– Oui, m’man.
Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Léo sur un ton cavalier en s’approchant de
sa mère.
Il
n’eut pas le temps d’ajouter un seul mot. Furieuse de ne percevoir aucun remords
chez l’adolescent, sa mère se tourna d’un bloc vers lui et lui assena une gifle
magistrale qui faillit le jeter par terre, tant elle y avait mis de la force et
de la rage.
– T’as vu ce
que t’as fait à mon beau piano, maudite tête folle ? Disparais avant que
je t’étripe.
Léo, le visage en feu, sortit de la pièce en se tenant la joue où les
cinq doigts de la main droite de sa mère étaient clairement imprimés. De toute
évidence, le garçon de treize ans mettait tout son orgueil à ne pas pleurer. Il
monta dans sa chambre d’où il ne sortit que pour dîner. Quand il prit place à
table, son père lui jeta un regard mauvais sans faire quelque commentaire que
ce soit à la vue de sa joue enflée. Selon toute vraisemblance, Yvette avait eu
le temps de lui raconter ce qui s’était passé.
La semaine
suivante, la température s’adoucit quelque peu, mais il neigea pratiquement
chaque jour. Le ciel uniformément gris avait un effet déprimant sur les gens
qui commençaient à trouver l’hiver exagérément long.
Au presbytère de
Saint-Jacques-de-la-Rive, Agathe Cournoyer abandonna un court instant sa
cuisine pour aller répondre au coup de sonnette impératif à la porte d’entrée. Philibert
Dionne lui tendit un paquet dès qu’elle lui ouvrit.
– Bonjour, madame
Cournoyer, dit le postier, toujours aussi affable. J’ai des lettres pour
monsieur le curé et un paquet pour l’abbé Martel. Voulez-vous signer pour le
paquet ?
– Entre, Philibert.
Tu fais geler tout le presbytère, fit la vieille dame en laissant entrer le
postier dans le couloir. Mets pas de neige sur mon plancher, par exemple.
– Ayez pas
peur, madame Cournoyer, répondit le postier en tirant un crayon de l’une des
poches de son épais paletot. Je sais pas ce que c’est, mais ce paquet-là est
pas tellement pesant, ajouta le petit homme replet au visage enluminé.
– Merci, Philibert,
dit la vieille dame en s’emparant du paquet et des lettres après avoir signé.
Elle
ouvrit la porte pour laisser sortir le postier.
– Je vois que
tu passes encore la malle avec ton traîneau à chiens, commenta-t-elle en voyant
l’attelage devant le presbytère.
– Pas le
choix. Il y a des rangs trop mal nettoyés et je pourrais pas passer avec un
cheval. Bon, je vous laisse. Je suis pas en avance.
Dès
qu’elle eut refermé la porte, la servante du curé Lussier regagna sa cuisine
après avoir laissé les lettres et le paquet sur la petite table du couloir.
Quelques minutes
plus tard, Antoine Lussier sortit de son bureau et, comme d’habitude, prit son
courrier sur la table en passant. Son attention fut tout de suite attirée par
le paquet destiné à son vicaire. Il le soupesa, le secoua et le tâta même pour
tenter de deviner ce qu’il pouvait bien contenir. C’était rigide et cela
rendait un son métallique. D’un naturel curieux, le pasteur de Saint-Jacques-de-la-Rive
aurait bien aimé savoir immédiatement qui était l’auteur de cet envoi et
surtout, ce que le paquet contenait. Il se promit de sonder son vicaire
quelques minutes plus tard , durant
le dîner.
À l’appel de Gabrielle Paré, les deux
prêtres se présentèrent en même temps à la salle à manger. L’abbé Martel, toujours
aussi distrait, faillit d’ailleurs rater une marche de l’escalier en finissant
de lire une lettre en descendant de l’étage.
– Vous feriez
bien mieux de regarder où vous mettez les pieds, l’abbé, plutôt
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