Les années folles
la
maison.
Lorsque Conrad
Desfossés et son fils se présentèrent sur le coup de huit heures, toute la
famille se réunit dans le salon pour une dernière prière. Le couvercle du petit
cercueil fut vissé et ce dernier fut transporté sur le corbillard stationné
devant la maison. Déjà, quelques sleighs attendaient à l’extérieur pour former
un cortège funèbre jusqu’au village. Personne n’était descendu d’un véhicule
par discrétion. On voulait laisser la possibilité à la famille de dire un
dernier au revoir au petit Adrien.
Beaucoup de
parents et d’habitants de Saint-Jacques-de-la-Rive et des environs se
déplacèrent en ce sombre matin pour assister à la cérémonie funèbre célébrée
par le curé Lussier. Le pasteur adressa aux fidèles réunis dans l’église une
brève homélie dans laquelle il parla d e
la foi qui donnait la force de traverser toutes les épreuves, même celle de
perdre un enfant en bas âge. Installés dans le premier banc, Yvette et ses
enfants tentaient de contrôler leur peine. À la fin de la messe, le prêtre prit
la tête du petit défilé qui se rendit au charnier dans lequel le petit cercueil
blanc fut déposé, après une dernière prière.
Les Veilleux
réintégrèrent leur maison silencieuse un peu après onze heures. Maurice était
seul dans la cuisine. Le frère mariste fit signe aux nouveaux arrivants de
faire le moins de bruit possible.
– P’ pa vient de s’endormir.
– M’man, pourquoi
vous allez pas faire la même chose dans une des chambre d’en haut ? proposa
sœur Gilbert.
– Je ferai ça
quand ma visite sera partie, pas avant, dit Yvette avec une détermination qui
contrastait avec les traits tirés de son visage et son épuisement évident. On
va d’abord préparer un petit dîner.
Une soupe, de la
tête fromagée et du pain furent déposés au centre de la table et on mangea dans
un silence relatif. Comme promis le matin même, un cousin vint chercher les
deux religieuses pour les ramener à leur couvent de Sorel et Jérôme attela la
sleigh pour aller conduire ses frères Maurice et Albert à la gare de
Pierreville.
À quatorze heures, tous les invités avaient quitté la maison et, d’un
commun accord, on décida d’aller dormir un peu pour récupérer après tant d’émotions
et les heures de sommeil perdues.
À la fin de l’après-midi,
Ernest Veilleux se réveilla, seul dans sa chambre. Après s’être cru en pleine
nuit durant un court moment, il se rendit compte qu’il entendait des murmures
en provenance de la cuisine. Une douleur lancinante à sa jambe droite ainsi que
la présence du plâtre lui rappelèrent subitement l’accident.
– Yvette !
appela-t-il.
Sa
femme apparut presque immédiatement dans la pièce.
– Quelle
heure il est ?
– Autour de
cinq heures. Comment tu te sens ?
– Ma jambe me
fait mal, se plaignit Ernest en grimaçant. Mais j’ai faim en maudit. J’ai rien
mangé depuis le déjeuner.
– Anne va t’apporter
un bol de soupe aux légumes et du pain pour te faire patienter. On va laisser
la porte de la chambre ouverte et on va t’allumer une lampe.
– C’est
l’heure du train. Est-ce que c’est Céline qui aide les garçons à le faire ?
Est-ce qu’elle est capable ? Elle est pas habituée, fit Ernest en
commençant à s’agiter.
– Inquiète-toi
pas pour ça. Clément s’est offert de venir s’en occuper avec les garçons. Avec
lui, il y a pas de crainte à avoir.
– Ouais, mais
j’aime pas ben ça qu’un étranger joue dans mes affaires, grogna le malade.
– Aie, Ernest
Veilleux, gronda sa femme, t’es ben mal placé pour critiquer et faire le
difficile. Oublie pas que si ça avait pas été du voisin et de ses garçons, tu
serais peut-être mort comme Adrien à l’heure qu’il est, ajouta-t-elle.
– Je leur ai
rien demandé ! s’emporta Ernest Veilleux avec mauvaise foi.
– Tu leur as
peut-être rien demandé, mais ils se sont tout de même fendus en quatre pour te
sortir du bois. En plus, le voisin se prive de l’aide de son gars pour qu’il
puisse venir s’occuper de tes vaches. Qu’est-ce que tu veux de plus ?
– Ouais !
Ouais ! En tout cas, je serais pas obligé de quêter l’aide des étrangers
si mes propres gars étaient ici plutôt qu’en ville, bougonna-t-il au moment où
Yvette s’apprêtait à quitter la pièce.
Ernest
Veilleux faisait évidemment allusion à Albert et à Maurice. Yvette ne répliqua
rien.
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