Les années folles
Elle sortit de la chambre à coucher en laissant son mari à sa mauvaise
humeur. Elle préférait le voir comme ça plutôt qu’abattu comme il l’avait été
durant les deux derniers jours.
Quelques minutes
plus tard, Céline vit passer son amoureux devant la fenêtre de la cuisine. Elle
frappa doucement la vitre pour attirer son attention et elle lui adressa un
signe de la main et son plus beau sourire. Clément Tremblay lui envoya la main
avant de se diriger vers la route et retourner chez lui. Quand Jérôme, Léo et Jean-Paul
rentrèrent peu après dans la maison, leur mère leur demanda où était passé
Clément.
– Le train
est fini, m’man, répondit Jérôme. Il est parti souper chez eux.
– Bonne
sainte Anne ! J’ai complètement oublié de vous dire de l’inviter à souper
après le train. Ça aurait été la moindre des choses.
Durant
le souper, les Veilleux eurent du mal à voir deux chaises vides autour de la
table. Adrien n’était plus là. La chaise au bout de la table, normalement
occupée par le père, leur rappelait encore davantage, s’il en était encore
besoin, le malheur qui venait de frapper la famille. Ernest avait carrément
refusé de venir manger dans la cuisine avec les siens en prétextant que sa
jambe le faisait trop souffrir.
En se mettant au lit
ce soir-là, Yvette Veilleux ne se doutait pas à quel point son mari allait
devenir invivable durant les semaines à venir.
Confiné à son lit
par le plâtre imposant fabriqué par le docteur Courchesne, Ernest commença à s’énerver
dès le lendemain matin. Le petit homme n’avait jamais été malade et se sentir
ainsi impuissant et dépendant des autres était plus qu’il ne pouvait supporter.
Tout l’agaçait et le faisait exploser, surtout le fait d’avoir à demander de l’aide
pour satisfaire le moindre de ses besoins. Il enrageait de voir qu’il ne pouvait
se lever et se mouvoir, ne serait-ce que dans sa propre maison.
À la fin de l’avant-midi, Yvette perdit patience.
– Ecoute-moi
bien, Ernest Veilleux, commença-t-elle, les mains sur les hanches. J’en ai
assez de tes caprices ! Ça va faire ! T’as passé deux jours assis à
côté du cercueil du petit. Tu me feras pas croire que t’es pas capable de te
rendre jusqu’à la table pour manger avec nous autres. Je t’avertis tout de
suite. Le déjeuner d’à matin servi dans le lit, c’était le dernier repas que t’as
pris là. Si tu veux manger, tu viendras t’asseoir avec nous autres, à table. Si
t’as besoin d’aide pour te rendre à ta chaise, on t’aidera.
Ernest lui jeta un
regard furieux, mais il ne dit pas un mot. Sur le coup de midi, il finit par se
lever et, s’appuyant aux murs, il réussit à se traîner jusqu’à la cuisine.
– Anne, apporte-moi
deux chaises et enlève ma chaise berçante de là, ordonna-t-il à sa fille.
Il
fit installer les deux chaises à la gauche du poêle, près du coffre où les
bûches étaient empilées, et il se fit aider pour déposer sa jambe plâtrée sur l’autre
siège. Au moins, ainsi installé, il voyait ce qui se passait dans la maison et
il s’occupait à alimenter le poêle. Les jours suivants, malgré tout, Ernest, exaspéré
par son inactivité, s’impatientait de voir les aiguilles de l’horloge avancer
aussi lentement.
– Maudit
torrieu ! jurait-il cent fois par jour en regardant par la fenêtre de la
cuisine qui donnait sur le chemin. Ça peut pas être plus plate ! Dire que
je devrais déjà être en train de préparer tout mon stock pour entailler… Je
suis sûr que dans une semaine, il va commencer à faire plus doux. Je suis là, assis
proche du poêle, comme un membre inutile.
– Il faut
laisser le temps à ta jambe de guérir, tentait de l’encourager Yvette.
– Laisse-moi
tranquille avec ça, toi ! la rabrouait-il avant de se plonger dans un silence
plein de rancœur contre le mauvais sort qui avait voulu qu’il se brise la jambe
juste au moment où il avait le plus de travail.
De
plus, ce plâtre lui rappelait trop la mort de son fils dont il se sentait responsable,
même s’il savait fort bien que c’était un accident.
Le samedi suivant,
Clément Tremblay arriva chez les Veilleux un peu plus tôt que d’habitude pour
aider à traire les vaches et nourrir les animaux. Ernest le vit arriver et se
diriger vers la maison plutôt que vers l’étable.
– Bon.
Qu’est-ce qu’il veut, lui ? grogna-t-il en exhalant sa mauvaise
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