Les années folles
sorti de leur étable leurs vaches qui broutaient la
première herbe tendre de la saison.
Tout indiquait que
le grand emprisonnement de l’hiver était enfin terminé. On pouvait même surprendre
quelques ménagères en train de laver leurs fenêtres et d’aérer certaines pièces
de leur maison. À présent, la température était assez douce pour ne plus être
obligé de chauffer le poêle durant la nuit.
Chez Germain
Fournier, aucune femme ne s’activait encore dans la maison ou autour, mais tout
indiquait que la situation allait bientôt changer. En effet, le célibataire
avait appris, une dizaine de jours auparavant, que la supérieure de l’orphelinat
Saint-Ferdinand avait donné son accord aux fiançailles de Gabrielle. Le samedi
suivant, il était allé à Pierreville avec sa promise et Agathe Cournoyer pour
faire l’acquisition d’une bague de fiançailles, un simple anneau en argent, à
la bijouterie Letendre. Le lendemain, il avait été invité à souper chez la
vieille dame et on avait célébré ses fiançailles officielles avec l’orpheline. À cette
occasion, les deux jeunes gens s’étaient entendus pour se marier le troisième
samedi de juin.
Trois jours après
les fiançailles, Germain avait profité d’une belle soirée douce pour atteler
son cheval à son boghei et venir rendre une visite impromptue à sa fiancée dont
il s’ennuyait déjà. Quand Gabrielle l’aperçut à sa porte, elle eut un sursaut
en le voyant tout endimanché un soir de semaine.
– Qu’est-ce
qu’il vient faire ici un mercredi soir ? dit-elle en serrant les dents.
– De qui
parles-tu ? lui demanda sa logeuse qui venait de s’asseoir à la table de
cuisine pour boire une tasse de tisane.
– Le beau
Germain. Il arrive. Je vous dis que c’est pas à soir qu’il va avoir le temps de
prendre racine dans le salon, lui.
La
vieille servante lui jeta un bref coup d’œil avant de secouer la tête. À en juger
par la grimace que la jeune fille venait de faire avant d’aller ouvrir la porte
à son fiancé, l’idée de le voir n’avait pas l’air de lui plaire
particulièrement. Un doute effleura même l’esprit d’Agathe Cournoyer, mais elle
ne dit rien.
La jeune fille
alla ouvrir la porte à Germain et le fit passer au salon. Cependant, elle le
reçut si froidement qu’un homme moins amoureux aurait trouvé là matière à réfléchir.
Dès ses premiers
mots, il était évident que l’orpheline avait décidé de profiter de l’occasion
pour mettre les choses au point.
– Veux-tu
bien me dire où tu t’en vas, habillé comme ça ? lui demanda-t-elle assez
sèchement.
– Ben, je
viens te voir.
– En pleine
semaine ?
– On va se
marier dans deux mois, plaida Germain, mal à l’aise, parce qu’il venait de se
rendre compte que sa visite semblait déplaire à sa fiancée.
– C’est bien
pour ça que je te le demande. Écoute, Germain. Il faut être raisonnable, s’efforça-t-elle
de lui expliquer en gardant un sourire figé. Dans deux mois, on va se voir tout
le temps. Là, il faut que tu comprennes que je travaille avec madame Cournoyer
jusqu’après le souper au presbytère. Il me reste presque pas de temps après
pour préparer mon trousseau. Si tu viens me voir des soirs dans la semaine en
plus de la fin de semaine, j’aurai jamais le temps d’être prête pour nos noces
au mois de juin.
– Ben sûr, répondit
le fiancé, toute sa timidité revenue.
Il
se leva du sofa où il venait à peine de s’asseoir, déjà prêt à prendre congé. Gabrielle
se leva à son tour, sans chercher à le retenir une minute de plus.
– Pendant que
je m’occupe de mon trousseau, tu pourrais peut-être faire du ménage dans la
maison, préparer notre chambre à coucher, peinturer, laver les vitres… Je le
sais pas, moi. Tu dois pas manquer d’ouvrage à faire.
– T’as raison,
acquiesça Germain en se dirigeant déjà vers la porte.
Le
fiancé, le visage fermé, ne chercha pas à l’embrasser avant de partir, comme il
le faisait habituellement. Il salua Agathe Cournoyer, demeurée assise à la
table de cuisine, et quitta la maison. Dès que la porte se fut refermée sur le
jeune homme, la vieille dame regarda sa locataire pendant un instant avant de
lui faire remarquer :
– Tu trouves
pas que t’es un peu dure avec ce pauvre garçon ?
– Pourquoi
vous me demandez ça, madame Cournoyer ? fit la jeune fille sur un ton
faussement naïf.
– Il s’est
probablement
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