Les années folles
son voisin d’en face. Un vrai coup de canon.
– Dans le
rang, vous êtes les plus près de la rivière, déclara Desjardins, un gros
cultivateur bourru, propriétaire de la source. C’est sûr que vous êtes ben
placés pour entendre ça. J’espère qu’il y a pas d’embâcle sur la rivière.
– Si ça
bloque pas à la hauteur du pont de Pierreville, déclara Eugène Tremblay, l’un
des premiers arrivés à la source, les glaces vont partir sans faire de dommages.
Sous la pluie
abondante qui n’avait pas cessé de tomber, le silence se fit soudain chez les
hommes frileusement regroupés près de la source. À tour de
rôle, chacun remplit son contenant et s’empressa de le fermer.
– Tiens, v’ là la barre du jour, annonça Perreault en
pointant un doigt vers l’est.
– Bon, je
pense ben que c’est le temps d’aller faire notre train si on veut être à temps
pour la messe, dit Ernest Veilleux en se dirigeant déjà vers la route en compagnie
de son fils.
Comme
s’il n’attendait que ce signal, le groupe se dispersa et chacun entreprit de
rentrer chez soi. Ernest salua Bruno Pierri, mais il détourna ostensiblement la
tête à la vue d’Eugène Tremblay.
Quand Eugène
rentra à la maison, il aperçut une lueur dans l’étable, signe que Clément, Gérald
et Lionel avaient déjà commencé à traire les vaches. Il tendit la bouteille d’eau
de Pâques à Thérèse avant d’aller rejoindre ses fils.
Un peu plus d’une
heure plus tard, tout le monde rentra dans la maison sous une pluie battante.
– Tu parles d ’un temps de chien pour Pâques ! gronda
Thérèse, de mauvaise humeur. On pourra même pas étrenner notre chapeau neuf, ajouta-t-elle
sur un ton dépité.
– Ça valait
bien la peine de se donner autant de mal pour changer toute la garniture de
notre vieux chapeau de l’année passée, se plaignit Claire, l’humeur aussi
sombre que celle de sa mère.
– À votre
place, je m’inquiéterais ben plus de la route que de votre chapeau, leur fit
remarquer Eugène en allumant sa pipe.
Antonius m’a dit
que les glaces avaient lâché au milieu de la nuit et je serais pas surpris qu’avec
ce qui tombe, on soit même pas capables de passer sur le chemin.
– Je pense
que je vais aller à la basse-messe, annonça Gérald. Est-ce que je sors le
boghei ?
– T’es mieux.
Avec cette pluie-là, il doit plus rester ben de la neige sur la route. Si tu t’aperçois
que le chemin est trop mauvais, prends pas de chance, reviens.
– Je vais y
aller avec toi, dit Claire à son jeune frère.
– Nous aussi,
déclarèrent Lionel et Jeannine.
– Moi, j’ai
promis à Céline d’aller à la grand-messe avec elle, fit Clément. C’est pas
parce que ça me convient, ajouta le jeune homme. J’ai une faim de loup et je
pourrai pas manger avant midi. Je vais aller te donner un coup de main à
nettoyer la sleigh, offrit-il à son frère.
– C’est pas
nécessaire, jugea son père. Avec ce qui tombe, elle va être crottée avant d’être
rendue devant chez Hamel. Relève d’abord la capote et regarde si les mulots ont
pas fait de nids dans les sièges.
Quelques
minutes plus tard, le boghei noir des Tremblay sortit de la cour sous une pluie
battante. Eugène, déjà endimanché, le regarda aller jusque chez Georges Hamel.
– Je
sais pas s’ils vont être capables de traverser la baissière dans le coin de
chez Tougas, dit-il à sa femme en train de dresser le couvert du dîner qui
serait servi au retour de la grand-messe.
Le
fermier songeait à l’importante dénivellation qu’on rencontrait à environ trois
cents pieds avant d’arriver à la ferme d’Antonius Tougas, la première ferme du
rang Sainte-Marie. Comme chaque printemps, les fossés avaient dû déborder à cet
endroit et il était plus que probable que l’eau avait envahi la route. Mais en
quelle quantité ? Il eut la réponse à sa question moins de quinze minutes
plus tard quand le boghei, couvert d’une boue épaisse, s’arrêta devant le
balcon. Le conducteur et ses trois passagers en descendirent et rentrèrent dans
la maison.
– Ça passe
pas, expliqua Gérald en essuyant son visage mouillé par la pluie.
– La
baissière ? demanda son père.
– Oui. Il y a
au moins deux pieds d’eau sur une trentaine de pieds de long.
– Toute une
belle journée de Pâques ! s’exclama Thérèse, frustrée d’être privée de sa
sortie dominicale. On pourra même pas aller à la
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